C'est la première fois que l'on voit si nettement le visage du poète adulte. Histoire d'une découverte
extraordinaire.
C'était il y a deux ans, dans une brocante comme la France en compte des milliers. Dans un lot, au
milieu de livres, de cartes postales, les badauds peuvent brasser des photos datant de la fin du siècle dernier représentant des bourgeois moustachus et des femmes strictement apprêtées. Rien
d'original. Au dos de l'une d'elles, toutefois, une inscription : Hôtel de l'Univers.
Alban Caussé et Jacques Desse, deux libraires d'anciens, sont tombés par hasard sur ce lot. Seule
la mention au dos de la photo a retenu leur attention - et pour cause : cet hôtel est celui où un certain Rimbaud séjourna à Aden. Ils ont acheté le lot en pensant : «Il faut regarder de
près».
Deux questions brûlent les lèvres : Où était cette brocante ? Et combien a été acheté ce lot
«miraculeux» ? La réponse des heureux acquéreurs a été visiblement préparée : «Où ? Quelque part en France !» Combien : «Un prix raisonnable.» On n'en saura pas davantage de la bouche de ces
libraires qui se qualifient joliment de «chasseurs de trésors» et rappellent qu'une chasse n'est pas toujours fructueuse.
Sitôt la photo en leur possession, les chasseurs se muent en membres de la police scientifique.
Quel lien entre ce cliché et Rimbaud (qui vécut à Aden durant les dernières années de sa vie). Qui est cet homme assis qui regarde l'objectif ? Ne serait-ce pas... ? Les premiers signaux sont
positifs : la période, le cadre, les détails, les personnages.
Les experts entrent en jeu
Désireux de s'octroyer l'aide d'experts es Rimbaldie, ils entrent en contact avec Jean-Jacques
Lefrère, biographe de Rimbaud et spécialiste incontesté. Quand ils le rencontrent, celui-ci travaille à un ouvrage monumental, une «correspondance posthume» regroupant des lettres, documents et
articles mentionnant Arthur Rimbaud, de sa mort en 1891 jusqu'à 1900 (Il paraît aujourd'hui chez Fayard.) Jean-Jacques Lefrère étudie à son tour le document, et sa conviction est rapidement faite
: c'est bien le poète des Illuminations qui figure sur cette photographie. En comparant avec les portraits de l'adolescent que l'on possède, on le reconnaît trait pour trait, même regard, même
expression. Mais une intuition même fondée ne suffisant pas, Le frère et les deux libraires se livreront encore à un minutieux travail de recoupements, de comparaisons avec d'autres clichés. Ce
faisant, ils font une autre découverte essentielle : cette photo permet, par voie d'agrandissement d'obtenir pour la première fois un portrait de Rimbaud à l'âge adulte. Les autres clichés du
poète devenu négociant, pris à Harar ou à Aden, montrent davantage une silhouette qu'un visage.
Jean-Jacques Lefrère et Jacques Desse concluent ainsi l'article qu'ils consacrent à cet
extraordinaire aventure dans le numéro d'Histoires littéraires (1) : «Comme dans Coin de table de Fantin-Latour, où il figure à côté de Verlaine, Rimbaud apparaît ici parmi des assis d'Aden. (
)
Tout son être paraît protester contre son intégration à ce rituel bourgeois de la séance du portrait de groupe, auquel, pourtant, il n'échappe pas. Il ne considère que le spectateur, comme en une
muette interpellation, qui n'attend pas de réponse. Il nous regarde, il n'a rien à nous dire.»
Il avait tout dit durant les vingt premières années de sa vie, loin d'Aden : «Que comprendre à ma
parole ? Il fait qu'elle fuit et vole».
(1) À lire «Un coin de table à Aden», le récit détaillé de cette recherche et l'étude de la photo
retrouvée d'Arthur Rimbaud. www.histoires-litteraires.org
La photographie sera présentée pour la première fois ce jeudi 15 avril au Grand Palais, où se tient
le Salon du livre ancien.
C'est en 1883 que Rimbaud arrive à Harar, venant d'Aden, pour y diriger la succursale des frères Bardey, mais
l'agence fermera un an plus tard. C'est Dubar, un collègue qui de retour en France, lui expédiera de Lyon, un appareil photographique qui permettra à Rimbaud de se tirer des portraits
devenus célèbres. En Juillet 1884, l'agence de Harar ayant fermé ses portes, il revient à Aden. Divers témoignages semblent indiquer que Rimbaud vivait alors avec une Abyssinienne ( Voir Jacques
Brel ). Grande , élégante, elle fumait la cigarette. En 1885, Rimbaud semble l'avoir congédiée "J'ai eu assez longtemps cette mascarade devant moi "
La photo du bas représente le comptoir d'Harar;
Ces photos sont incroyables car physiquement Rimbaud a attrapé une figure de "Négus Ethiopien"
Lire à ce sujet le livre d'Alain BORER "Un sieur Rimbaud dit Négociant". C'est passionnant