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June 27, 2018
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Site traduit en Allemand : |
http://fp.reverso.net/christianvancautotems/3733/de/index.html |
Site traduit en Anglais : |
http://fp.reverso.net/christianvancautotems/3733/en/index.html |
J'habite dans le Sud de la Belgique, à 10 Kms au Nord de Libramont, 50 Kms au Nord de Sedan et 75 Kms au Nord
de Longwy. Sur cette carte, la Belgique au Nord de la France et au Sud, une flèche noire indiquant mon village, situé au Nord de LibramontUne autre perspective. Moircy encadré, Bastogne 30 Kms Nord-Est, Luxembourg- ville au Sud-Est, Sedan et
Charleville au Sud-Ouest
Mon adresse-mail est la suivante: christian.vancau@base.be
" C'est d'abord un combat contre les parents et ensuite un combat contre les maîtres qu'il faut mener et gagner, et mener et gagner avec la brutalité la plus impitoyable, si le jeune être humain
ne veut pas être contraint à l'abandon par les parents et par les maîtres, et par là, être détruit et anéanti "
( Thomas Bernhard, écrivain autrichien décédé en 1989 )
Ma biographie c'est ce combat et rien d'autre
Je suis un homme de 74 ans retiré dans un tout petit village des ardennes belges, un endroit magnifique au bord de la
forêt. J'y vis seul . J'ai une fille de 46 ans et deux petit-fils de 21 et 6 ans, qui vivent tous les trois à 10 Kms de chez moi.. Je suis donc un homme d'avant-guerre (1937), né à Gand en
Flandre, de père gantois et de mère liégeoise (Gand et Liège sont les deux villes rebelles de Belgique ). Je suis arrivé à Liège en 1940 avec ma mère et ma soeur, alors que mon père s'était
embarqué pour l'Angleterre, dans l'armée belge et y exerçait son métier de chirurgien orthopédiste. Je n'ai donc réellement rencontré mon père qu'à l'âge de 8 ans, après la guerre, en 1945. Mis à
part 2 années à Bruxelles et une année en Suisse à Saint-Moritz, j'ai vécu à Liège et y ai fait toutes mes études, humanités gréco-latines chez les Jésuites et Droit à l'Université de Liège. Je
me suis marié en 1962, ai eu une petite fille Valérie et ai cherché une situation, muni de mon diplôme de Docteur en Droit. J'ai trouvé un emploi dans la banque. Je n'aimais ni le Droit ni la
banque, je ne me savais pas encore artiste, je voulais être journaliste. Ma famille bourgeoise m'avait dit "Fais d'abord ton droit" ! En 1966, j'ai commencé une psychanalyse qui a duré 5
anset demi. En 1967, j'ai commencé à peindre. En 1971, ma Banque m'a envoyé créer un réseau d'agences dans le Sud de la Belgique, ce que j'avais déjà fait dans la province de Liège. Je me suis
donc retrouvé en permanence sur les routes explorant village après village, formant les agents recrutés et les faisant "produire". Il ne m'aurait jamais été possible d'être un banquier enfermé.
Je ne tiens pas en place. Pendant 8 ans j'ai vécu au-dessus de ma banque à Libramont, créant mon réseau. En 1975, j'ai été nommé Directeur et Fondé de Pouvoirs. En 1978 j'ai acheté une maison en
ruines à Moircy, mon territoire actuel. Je l'ai restaurée et y suis entré en 1979. En 1980, ma banque a été absorbée par une banque plus puissante et l'enfer a commencé. En 1983, mon bureau a été
fermé. Je suis devenu Inspecteur, puis Audit en 1985 avec un réseau de 140 agences couvrant tout le Sud et l'Est de la Belgique. Dans le même temps je transformais mon territoire, creusais des
étangs, installais plantations et totems et peignais abondamment. En 1989, j'étais "liquidé" par ma Banque avec beaucoup d'autres, pour des raisons économiques. Ma femme est partie.Je me suis
retrouvé libre avec 28 mois de préavis et puis ensuite chômeur. Mais j'ai intenté un procés à ma Banque. Ca a duré 4 ans et j'ai gagné. Quelle jouissance de pouvoir écraser une banque (à
suivre).
J'ai commençé à exposer en 1976 et celà a duré jusqu'en 1995, le temps de réaliser que le monde de l'Art n'était pas plus
reluisant que celui de la Banque. Je n'avais en outre, nul besoin de vendre et encore moins d'être célèbre. A chercher l'argent et la gloire, on est sûrs de perdre son âme, tôt ou tard (et de
toutes façons, la réputation monte quand le cercueil descend ). J'ai donc quitté les mileux de l'art. J'ai encore peint jusqu'en 2002. Celà aura tout de même fait 35 ans. Je n'ai plus besoin de
la peinture. Elle m'a permis de survivre psychologiquement et de me chercher. Pour moi l'Art est ce qui doit rendre la Vie plus belle que l'Art
Je suis un HOMME LIBRE, un sauvage, proche de la nature et des animaux, misanthrope, profondément rebelle, tout d'une pièce, physique, violent contrôlé à savoir positif dans ma violence,
agnostique. Je ne crois absolument pas à l'avenir de l'Humanité. L'Homme est indécrottable. Il est UN LOUP pour l'Homme. Aucune leçon de l'Histoire ne lui a servi
Je ne crois pas à la politique. J'ai le coeur à gauche, instinctivement du côté des défavorisés, contre toute exploitation et abus de pouvoir, contre tout racisme, mais je ne suis pas de gauche,
ça ne veut plus rien dire ! Et encore moins de droite, celà va de soi !
Je pense que si l'homme n'arrive pas à créer le bonheur dans sa vie personnelle intérieure, il est incapable de le créer pour les autres. La meilleure chose que l'on puisse faire pour les autres
est d'être heureux soi-même !
Je préfère nettement les femmes aux hommes. Je me sens de leur sensibilité, je m'efforce de faire fleurir les mêmes valeurs qu'elles
Je pense que réussir sa vie, c'est réussir l'amour. Toutes les autres formes de "réussite", sont des ersatz qui ne "comblent "pas
Je suis né un 1er Novembre, suis donc Scorpion, Ascendant Gemeaux, Milieu du Ciel en Verseau, Mercure en Scorpion comme le Soleil, Mars et Jupiter en Capricorne, Saturne en Poissons, Uranus en
Taureau, Neptune en Vierge, Pluton en Lion, Vénus en Balance, ainsi que la Lune, j'ai mes Noeuds lunaires ( sens de ma vie, mon destin ici bas ) et Lilith (la lune noire) en Sagittaire. Du
Scorpion, j'ai l'agressivité, le côté piquant, le côté rebelle. Du Gemeaux, j'ai le goût des langues , de l'écriture, des voyages, et l'incapacité à rentrer dans des hiérarchies ou dans des
groupes, quels qu'ils soient, et à me soumettre à une autorité
Dans mes jeunes années j'ai pratiqué beaucoup de sports: tennis, natation, cyclisme, ping-pong, ski, boxe et karaté. Aujourd'hui toute mon activité physique est concentrée sur les travaux
d'entretien de mon territoire. Je suis jardinier 6 mois par an.
En dehors de la peinture, je pratique d'autres activités: 1) Lecture (romans, polars compris, poésie, théâtre, ouvrages de philosophie et de psychologie, mythologies etc..) 2) Ecriture (Un
journal quotidien depuis 1980, comptant à ce jour 45.000 pages ), 3) Musique (Guitare et piano). Toutes les musiques m'intéressent, blues, jazz, rock, chanson française, musique classique et
contemporaine. 4) Photo et Video. 5)Jardinage et rapport constant avec le monde animal. 6)Et enfin l'informatique, activité nouvelle que je pratique depuis3 ans et qui a abouti à la création de
ce blog
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June 27, 2018
Un petit retour en arrière dans le temps avec MORTEL AZUR, publié en 1985, donc 5 ans avant "Le Petit Prince Cannibale". C'est donc le 4e livre de Françoise LEFEVRE
Mortel Azur, publié par Jean-Jacques Pauvert, alors chez Mazarine, en
1985 revient sur l'amour perdu "J'invente que tu existes pour ne pas mourir" en même temps que le regard s'élargit sur la maternité et que la
réflexion sur l'amour s'approfondit. Sur la même page, par exemple se côtoient cet aveu "J'ai un goût
désolant pour la merveilleuse brutalité du désir" et cette remarque "L'amour est rarement frère du désir"
"Je ne suis jamais descendue à la gare de Nuits-sous-Ravières. J'aurais brisé le songe: voyager sans fin pour te
retrouver. Ce livre, tu en es l'absent. Il aurait pu porter ton nom, ou celui de Nuits-sous-Ravières, petite ville que je ne connais pas...
Nuits-sous-Ravières est une nuit qui gronde sous le pont d'un chemin de fer. Nuit de gel et de lune pleine. Le vent du Nord blesse le baiser de notre rencontre. Au-dessus de nos têtes, chaque
passage de train est une apocalypse. Sous le ciel constellé, la terre scintille comme sur ces cartes de Noël fanées où s'accrochent encore des poussières d'argent..
"Tu serrais ma main face aux déserts de pierre et de sable. Je te baisais sur la bouche dans les rues de Venise. jJe te pris le bras quand nous abordâmes ce cimetière au milieu des eaux,
ressemblant davantage à un jardin. J'y entendais des murmures et des froissements d'étoffes comme si le bas d'invisibles robes frôlait les tombes..."
Il me faudra tout faire en même temps. Bâtir ce livre avec ma folie. Entrer dans ces palais, ces temples, ces hôtels borgnes. Il me faudra porter mon enfant. Rassembler la paille la plus fraîche
pour qu'il y dorme. Que chaque brin luise dans cette pénombre d'où j'ai chassé les mouches. Que le pot en grès soit plus bleu que l'eau du bluet qu'il contient...".
"Parmi d'autres, je me souviens d'un après-midi de juillet où tu me servis dans un verre ancien, un breuvage à la mandarine fortement alcoolisé, pour me préparer, dis-tu, à la sieste violente
derrière les volets. Une tarte cuisait. Je dis qu'elle cuirait bien toute seule. J'avais faim d'être heureuse dans ce vieux lit aux draps de toile rêche. Dans la chambre, mes yeux ne
rencontraient que des objets que j'aimais. Des hirondelles en bois d'ébène. Un cadre ovale débordant de roses. Un grand tablier de jardin accroché à un clou, une couronne de fleurs d'oranger
ayant appartenu à une mariée, sans doute morte maintenant..."
"Tu m'appelles. Le jardin sent la menthe et la sauge. Une baignoire en zinc à hauts bords, remplie d'eau chauffée par le soleil m'attend. J'y entre comme pour un baptême. Dans un verre de cristal
aux initiales gravées à mon nom, tu me sers un vin pourpre et lourd, digne de tous les ducs de Bourgogne. Ta main sereine s'inquiète de la température de l'eau. Tes yeux me disent clairement que
je suis ta femme. J'embrasse la chevelure des arbres, le bleu immobile du ciel. Acharnées d'amour, les tourterelles s'appellent dans le silence. Des scarabées de lumière tournoient sur ton
visage. A tour de rôle nous goûtons le vin. Je surprends parfois dans ton regard une indéfinissable lueur, très proche de celle qui anime ce visage d'homme peint par Sebastiano del Piombo au
Musée des Offices à Florence. Un regard où l'on peut lire la nostalgie de quelque cruelle et secrète alcôve de velours..."
"Un jour, on se retrouve sur un trottoir, une blessure au front. Un trop-plein de lumière, nous aveugle. Un trop plein d'azur coule de nos orbites. Une absolue cécité me fait chercher ta main. Je
rencontre le froid d'un mur carrelé. A jamais perdus, forêts, loups, marécages, embrassements. A jamais perdus, les paumes de tes mains adoucies par l'argile, ton regard de berger, l'odeur du
chanvre dans ton cou. Redis avec moi: "A jamais perdus..."
En 1993, c'est la parution de "Blanche c'est
moi",(6e ouvrage publié) Blanche déchirante silhouette qui glissait déjà entre les pages du "Petit Prince Cannibale""Peu à peu dans cet enchevêtrement d'histoires et de visages, une image prend forme. Image de
femme mûrie, meurtrie, qui doit à l'acceptation de ses guerres anciennes, sa force toute neuve. Image d'un écrivain qui se dépouille des formes, toujours d'avantage, pour approcher dans le
dénuement, sa vérité" (Laurence Vidal. Le Figaro littéraire)
Françoise et son Terre-Neuve en 1993
"Françoise Lefèvre s'en prend ici aux rabat-joie, aux empêcheurs de danser en rond, de donner son amour, d'assouvir ses désirs, d'organiser ses partages. Maîtres d'école, censeurs familiaux, amants fourbes, écrivains avides, éditeurs tyranniques, plombiers défaillants, tous sont éxécutés d'une plume vengeresse, tous...pour que réparation soit faite, pour que place nette enfin soit acquise (sous l'oeil complice de Victor Hugo) aux choses les plus tendres, les plus belles, les plus sensuelles
Victor Hugo depuis toujours en filigrane dans la vie
de Françoise
"Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en
fleur "
"Chez des amis musiciens, je m'arrête devant le portrait de Victor Hugo. Assis, le coude appuyé sur une pile de livres, le front dans la main, colosse trapu, barbe et cheveux blancs. Visage raviné, le regard presque détaché et lointain. Je ne peux m'empêcher d' y voir un signe. Va t'il comme autrefois poser sa main sur mon épaule?...Au fond je le connais mal. Je ne connais pas même son oeuvre et si peu sa vie. J'ai entendu dire qu'il était loin d'être drôle et sacrément cavaleur. Je préfère rester avec le souvenir tenace de mon enfance? Les larmes silencieuses de "Demain dès l'aube"."
Et soudain parmi les personnages de ce livre révolté qui prend forme de roman, une ombre
revient qu'on avait croisée dans le Petit Prince cannibale, celle de Blanche, la cantatrice éloignée de la scène par un mal terrible; cette femme que l'on croyait deux fois morte - parce
qu'on l'avait vue périr et parce qu'on la tenait pour une créature de papier - surgit par les coulisses, toute de vie retenue,clamant son silence, couvrant la scène de sa présence. D'un
seul coup la vérité de Françoise éclate. Blanche c'est elle... (Hubert Nyssen - Actes Sud )
"Il n'est plus de temps pour la rêverie, mais pour l'urgence. Il n'est plus
temps pour les fausses pudeurs, la crainte des jugements, les flous aussi artistiques soient-ils, l'autocensure. Il est temps de se mettre au travail, de capter, d'ordonner, de battre les mots
comme le fer sur l'enclume, de rendre claires les pensées parfois brumeuses. Le temps est venu d'accomplir. Voilà aussi une des grandes surprises de la vie. Tout se passe comme s'il me
fallait consigner même ce rayon de lune, cette campagne qui blanchit, cette chouette qui hulule, cette autre qui répond, ce café que je bois avec plaisir et reconnaissance, ces respirations
d'enfants que je devine dans les chambres tièdes. Et tous ces êtres aimés, allongés depuis longtemps dans leur fosse et dont le souvenir me hante. Comme me hante, m'obsède et m'accompagne le
fantôme de Blanche qui n'est autre que le mien et que je dois avoir le courage d'évoquer. Avant ma mort, puisque personne mieux que moi, ne s'en occupera après. C'est bien plus qu'un
testament.."
"Quand on me dit : Quelle douceur sur votre visage, et qu'on me croit animée de bons sentiments, on fait erreur. J'ai des pensées
meurtrières plusieurs fois par jour vis à vis de qui vient gaspiller ma joie, m'entrave ou vole mon énergie et ma force d'aimer. C'est avec cette rage que j'ai mené à bien tous mes combats. C'est
avec cette rage que j'écris. Cette avec cette rage que je romps..."
"A l'âge de vingt ans, je vivais comme Gelsomina dans La Strada de Fellini. J'étais la muse, la compagne d'un artiste peintre dont je
pensais qu'il avait du génie. J'étais aussi la mère de ses enfants nés entre les terrains de camping, les caves à rats que nous habitions au gré de notre fortune, et des cliniques vénales qui ne
me gardaient pas plus de deux jours après mes accouchements, puisque je n'avais pas de Sécurité sociale et qu'il fallait décaniller
"Ces médecins comptables n'avaient pas prévu de se retrouver avec une peinture pour tous honoraires.
Je repartais en boitillant, infatigable marcheuse, mes gosses sur les bras ou sur les hanches. Pour tenter de me procurer le minimum nécessaire à leur survie, j'essayais de vendre les aquarelles
et les dessins de mon artiste peintre aux terrasses des cafés. Il me semblait qu'il était Van Gogh mais qu'il ne faudrait pas qu'il connût la même misère. J'étais prête à donner beaucoup pour
cela. Je me battrais pour lui et sa peinture, je ne me plaindrais pas de la faim, de la fatigue, du froid, de l'angoisse. Voilà exactement ce qu'il ne faut JAMAIS faire pour un homme: lui infuser
toute son énergie, au nom de l'amour, lui transfuser totalement les dons et la chance qu'on n'ose pas exploiter pour soi-même, toujours au nom de l'amour. C'est faux ! C'est inexact ! C'est un
leurre monstrueux ! Ce n'est pas admirable !......."
Et en Octobre 1994 c'est la publication de "LA GROSSE" toujours chez "Actes Sud"(7e ouvrage publié)
Ce bref ouvrage, cent sept pages dans un petit format, est sans doute le plus pur roman de Françoise Lefèvre, celui où les personnages (distincts du narrateur)
crèvent l'écran de la fiction (PIERRE PERRIN dans "Les caresses de l'absence" chez Françoise Lefèvre"Adresse du site de Pierre Perrin: http://www.perrinchassagne.net )
"Rien ne prédestinait Céline Rabouillot à devenir garde-barrière. Elle lit des livres, parle trois langues, comprend les enfants comme personne. Elle accompagne un homme âgé qui a aimé les abeilles, la bonne chère et les grands crus de Bourgogne. Mais elle est grosse, trop grosse pour les "autres" que dérangent ses manières et ses habitudes. Et la voilà - elle qui porte le poids de l'absence, le chagrin d'un enfant mort - vouée à la haine sournoise de ceux qui n'acceptent la différence sous aucune de ses manifestations.
Dans ce récit tragique, aux pages tour à tour fiévreuses et révoltées, Françoise Lefèvre, en même temps qu'elle évoque cette cruauté par phrases impitoyables, s'attache à révéler la somme de grâce et de tendresse qui fait de Céline Rabouillot, un être de passion, une Marie-Madeleine d'aujourd'hui (Actes Sud)
"Montre-moi tes seins
, la pluie tombant derrière les volets, Celine se défait avec lenteur comme devant un peintre qui vous regarde et veut capter, transmuer la lumière qui éclaire la peau en dedans. Dans la chambre ardente et vétuste, elle lui offre le nacre de sa chair. Un parfum de cheveux et de forêt envahit la pénombre. Elle s'enroule dans le châle de soie aux coquelicots. Non! Laisse-moi te regarder! Et Céline se découvre dans les yeux d'Anatolis. Elle voit couler ses larmes. M'accompagneras-tu Céline, m'accompagneras-tu? Oseras-tu Céline? Alors elle sait lui donner le souffle des amantes au grand coeur. Elle lui fait don de sa pudeur. Elle oublie jusqu'à sa pudeur. Assise à la tête du lit, ses grosses cuisses ouvertes, elle accueille l'homme qui repose dans sa toison. Elle tient l'homme comme on tient l'enfant brûlant de fièvre. elle le tient au creux de son ventre nu. Elle le regarde mourir. Elle essuie sa sueur d'agonie..."
"Elle se revoit dans un autre pays, courant dans une forêt de bouleaux blancs. Elle se souvient de leur rencontre dans un bal. Toute la nuit elle a dansé sous les lanternes japonaises dans les bras de ce soldat, ce vagabond, ce déserteur qui fuyait une sale guerre. L'attirant dans la forêt, il lui donne un baiser dur et lent. Si dur. Si lent. O baiser perdu. Cuir et Lilas. Arbres roux. Cime des arbres entre les paupières incendiées. Epervier là-haut, juste au-dessus du baiser. Tourne comme la langue. Epervier qui plane sur ce baiser lent. Alors elle ôte ses vêtements et s'abat sur le sol comme le clocher d'une église que la foudre décapite. Epervier qui plane sur ce baiser lent, plane longtemps et crie soudain comme on cloue. Vide où creuse le désir des amants. Ce creux sans nom. Les pointes de seins comme des bourgeons de pivoine. Impatience des mains pour caresser. O comble du désir. Accroupi sur sa poitrine, il s'enfonce dans sa bouche, allant et venant, la traitant de beauté, d'amour fou, de sacrée putain. Sous son dos elle ne sent rien des cailloux, des orties, des branchages. Il énumère en sanglotant ce qu'il a perdu. Ce qu'il va perdre encore. Il se souvient de forêts calcinées, pétrifiées, d'animaux disparus, de griffes d'ours sur les parois des cavernes, d'un feu qu'il fallait garder et ne pas laisser s'éteindre. Il pétrit, malaxe ses seins, les étirant comme une terre élastique, il rebâtit les coupoles d'Alexandrie, la cathédrale de Gaudi, la tour de Pise. Il élève les pyramides, les temples Mayas avec de escaliers débouchant en plein ciel, appelant à la rescousse, compagnons d'oeuvre, camarades et soldats morts.."
"Ici, dans ce jardin, tout près de la voie ferrée, c'est Babylone qu'ils recréent. Céline n'est plus trop grosse. Anatolis n'est plus malade. Il a tout préparé pour leur fête. Leur souper. Le pain. Le vin. Elle a apporté l'huile parfumée, les herbes, les épices pour les viandes et poissons qui cuiront sur une grille posée sur la brouette, où se consume déjà le charbon de bois.Tout autour c'est le jardin de Monet. Pour que Céline puisse se rafraîchir, Anatolis a rempli une baignoire en zinc. Des sièges de deux-chevaux recouverts d'une cretonne fleurie servent de divan. En guise de table, une planche sur des parpaings cachés par une nappe vert anisé. Pour les abriter du soleil, entre quatre arbres, il a tendu une toile orange. L'eau de pluie est récupérée dans deux bidons de fer peints en bleu. Tout ce qui paraîtrait laid ailleurs prend ici une allure de clos ench
hanté, comme souvent ces jardins potagers ouvriers le long des voies de chemin de fer. Avec deux fois rien, ils répètent le déjeûner sur l'herbe. Cent mètres carrés de bonheur, enfoui sous un délire de lys dont le parfum pourrait tuer, roses anciennes exténuées de chaleur, dahlias géants, fraisiers grimpants formant une treille. Cent mètres carrés au milieu des pieds de tomates aux fruits brûlants dont les feuilles, lorsqu'on les froisse, laissent sur les doigts une odeur d'amour. Le bonheur absolu caché par les ombellifères géantes, les grandes berces, le coeur jaune des tournesols, sous le silence de l'azur, le poids radieux des chants d'oiseau. On entend les éclats de rire de Céline prenant son bain, cachée par d'immenses draps écrus dont Anatolis a entouré la baignoire, vaisseau de haut bord naviguant dans la houle des herbes folles, dans le coin le plus reculé, le plus sauvage du jardin, juste derrière le cabanon qui leur sert de maison d'été. Sur l'eau tiédissant au soleil depuis le matin, il a déposé des nénuphars qui, au moindre clapotis frôlent le corps nu de Céline. Appuyée à la collerette de zinc, ses cheveux moussant autour d'elle, la cachant toute entière, elle se repose et sourit. Immobile et calme. Géante Ophélie. Survivante de l'Atlantide. Avec le miroitement de l'eau , passe sur son visage l'ombre d'albâtre des femmes disparues, la Laitière de Vermeer et son reflet spéculaire tremblant au fond de la jatte à lait. Comme le mercure d'un miroir ancien, l'eau du bain garde captif un haut front très blanc. C'est la dame tenant une hermine et sa caresse inachevée dans le pelage de neige. Dans l'eau verdie se reflètent aussi les commissures des lèvres, le sourire de la Joconde. Les voiles de la Samaritaine penchée au-dessus du puits. le corps de Suzanne convoité par les vieillards. Léda, enroulée au cou de son cygne. Inassouvie pour l'éternité. La petite Châtelaine, et toute à son baiser, l'amante de Camille Claudel, pétrifiée dans une valse immobile. Les yeux de la même Camille, à jamais ouverts et qui regardent du fond de l'eau. Regardent et interrogent ceux qui ont tué sa force d'aimer et de créer. En l'enfermant dans une maison de fous, trente ans durant. Jusqu'à la fin de ses jours. Car trop de talent, trop de passion amoureuse, c'est une insolence qui contrarie l'irrésistible ascension des notables...."
"A plus d'une heure de l'après-midi, ils eurent faim. Ils souhaitèrent manger une de ses saucisses qui grillaient et sentaient bon. Alors qu'elle attendait son tour, Céline entendait une rumeur qui grondait. Des femmes se poussèrent du coude en la désignant, des hommes opinèrent du chef et crachèrent à terre tout en la regardant. Il y eut foule autour d'elle. On la bouscula. On la poussa. Elle perçut comme un murmure qui s'enflait et d'où fusèrent des injures. Elle entendit "c'est elle qui a couché avec le vieux". Brusquement elle se retrouve dans l'antre du boucher.Sous les crocs d'acier où pend la viande. La foule augmente, la rumeur se transforme en houle qui gronde. Elle entend des injures. Elle reconnait des visages, déformés par la haine. Des visages de tricoteuses. De bourreaux.Les mots arrivent par salves, crépitent à ses oreilles. Si c'est pas malheureux. Une grosse comme ça. On les a vus dans le cabanon, l'Anatolis et elle. Et j'peux vous dire qu'y se gênaient pas. Un gros tas comme ça ! Poufiasse ! crie un homme. Et d'autres. Putain !Salope ! On la pousse sous les crochets de viande, contre le boucher..."
En 1994 c'est la sortie d'HERMINE (8e ouvrage). Voici ce qu'en dit Christian BOBIN
"Hermine, c'est un livre dur comme une pierre, Françoise. L'encre noire s'y trouve blanche comme en surface d'un poing serré, les veines gonflées, vidées de sang. Il n'y a que vous et la mort, face à face. Et dans le milieu des deux un bébé brin de paille. Le moindre courant d'air et c'est fini. Vous dites ce qu'on ne dit jamais: que seul l'amour peut tenir tête à la mort minutieuse, chagrine, avare, à condition bien sûr que cet amour soit fou, étourdi de lui-même jusqu'à s 'oublier, jusqu'à ignorer sa grandeur de lumière, de patience, d'attention. Ce petit livre aidera beaucoup ceux ou celles qui le liront. Tous les récits de résistance aident à supporter de vivreLes appareils ont maintenu votre petite fille dans l'entre-deux de vivre et de mourir. C'est votre folie qui a décidé du reste et elle seule. La parole d'amour de la folie a tiré la demi-noyée vers le plein jour. Le lait d'amour de la folle s'est changé pour l'enfant, dans l'enfant, en sang rouge cru, vif, dru. Et la vie simple, pauvre, la vie inapparente et quotidienne a pu reprendre ses droits, ses aises, sa place
L'amour va chercher ce qu'il aime en enfer, l'amour avale l'enfer..." (Christian
Bobin)Hermine Horiot et son
frère Hugo
Hermine à la Ruche avec
l'Enfumoir
" Voilà sans doute comment ce serait rédigé dans un dossier médical: " La patiente attend son quatrième enfant. A sept mois et demi, ne le sentant plus bouger, elle se présente à la maternité de l'hôpital où le diagnostic confirme une souffrance foetale. Une césarienne est pratiquée d'urgence. Au cours de l'opération, l'enfant de sexe féminin inhale du liquide amniotique qui encombre ses poumons. Présentant une DR (Détresse respiratoire), il est placé d'urgence en réanimation dans une unité de soins intensifs...Alors vous vous concentrez pour faire reculer la mort. Vous vous arc-boutez contre elle. Vous luttez front contre front. Vous bâtissez une digue avec votre pensée étrangement fluide. Envers et contre toute raison vous pensez que votre lait sauvera votre enfant; que votre lait a un pouvoir. Vous ne savez plus ce que vous croyez ou non, mais vous êtes partout dans ces peintures de la Renaissance italienne, ces statues, ces fontaines, ces bancs de square où une mère allaite son enfant. C'est là que vous puisez vos forces, dans cette grande imagerie de l'amour maternel, dans ce qui appartient à tout le monde. Comme ceux des châteaux forts qui jetaient de l'huile bouillante sur l'ennemi pour le faire reculer, vous déversez des fleuves de lait sur la mort..."
"Je ne t'ai jamais vue. Je te reconnais tout de suite. Je désigne ta couveuse parmi celle des autres
nourrissons. La tête me tourne. Je lutte pour ne pas tomber. Je veux te voir. Je veux te toucher. J'ai l'impression d'être dans le bazar glauque d'un mauvais rêve où j'aurais à identifier mon
nouveau-né et pas le droit de me tromper. pas de seconde chance. Je flotte dans l'odeur sucrée des désinfectants. On m'aide pour aller jusqu'à toi. Je te découvre dans ta cage transparente,
hermétique, branchée de partout, sondée, maintenue en vie par des fils reliés à des machines qui soufflent sans cesse, crucifiée, les quatre membres entravés. Grenouille de laboratoire. Ta bouche
est entr'ouverte sur la sonde. Une autre, enfoncée dans ton nez descend dans ta trachée t'insufflant l'oxygène nécessaire. Par une aiguille plantée dans ton artère ombilicale, on te nourrit.
Régulièrement on te pique au talon pour mesurer la teneur des gaz de ton sang. Je n'en peux plus de te regarder, seulement te regarder. Je n'ai que l'autorisation de toucher ta main. Ta bouche
est absolument déssèchée. On te pique. Ta poitrine se soulève dans une sorte de spasme. Tu pleures..."
Voici Hermine aujourd'hui. Violoncelliste, elle termine ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSM) avec comme Professeur de violoncelle, Philippe
Muller qui a fait ses études au Conservatoire de Liège (Belgique). Elle a 23 ans(1986)Hermine et l'auteur de cet article : Christian Vancau, l'Homme de Boue, dans le film du frère d'Hermine, Hugo
Horiot
Avertissement; Tous les articles (présents et à venir) de mon Blog concernant Françoise Lefèvre ont été élaborés en étroite collaboration avec elle, au cours de multiples dialogues entre l'Ecrivain et Christian Vancau, après que celui-ci ait lu au préalable ses 18 livres actuels et bien d'autres documents et articles de presse
Françoise Lefèvre est née à Neuilly le 22 novembre 1942. Elle vit aujourd'hui en Bourgogne et a 4 enfants.
C'est à l'âge de 29 ans que Françoise Lefèvre quitte son poste d'ouvreuse à l'Olympia, pour se lancer dans l'écriture, et ce, grâce à l'Editeur Jean-Jacques Pauvert, qui reconnait immédiatement son talent et lui fait confiance
"Porter à son visage, pour le sentir, un drap frais repassé. Verser sur le dos de sa main un peu de lait, pour vérifier que le biberon n'est pas trop chaud. Fermer les volets, lentement, jusqu'à trouver l'angle où ils laisseront passer la lumière de l'été mais pas sa brûlure. A ces gestes humbles, indispensables à la continuation du bonheur, à ces gestes inaperçus même des anges, il faut ajouter, après avoir lu Françoise Lefèvre, le geste d'écrire... (Christian BOBIN)"
Tout commence ici, en 1974 avec la publication de son premier livre "LA PREMIERE HABITUDE"
Voici ce qu'en dit le critique Pierre Démeron dans Marie-Claire:
"Françoise Lefèvre est une manière de phénomène exotique dans nos lettres. Elle apparut un jour chez Jean-Jacques Pauvert, maigre à force de dénuement, abandonnée après 7 ans de vie aventureuse et difficile par un amant peintre avec, pour tout viatique un "débrouile-toi" et deux enfants dont la misère l'avait obligée à se séparer. Son amant l'avait quittée après la guerre des Six Jours pour rejoindre Israël. Théodore Herzl n'avait sans doute jamais songé que le sionisme pût un jour servir à un homme d'alibi pour abandonner une femme et ses deux enfants et partir avec une autre pour la Terre Promise ! Ex-petite comédienne, en attendant d'hypothétiques rôles à la TV, elle était ouvreuse de cinéma
"C'est à cette époque, écrit-elle dans Un Soir sans Raison, que le miracle eût lieu. Une jeune femme que je connaissais à peine, mais que le récit de ma vie miséreuse et vagabonde auprès de mon artiste peintre avait frappée, me dit qu'un éditeur de sa connaissance s'intéressait aux "témoignages de femmes"....
Deux jours après, je montais les marches usées d'un vieil immeuble de la rue de Nesles. On m'ouvrit. Je me retrouvais dans une pièce, très haute de plafond, entièrement tapissée de livres. Ou plutôt hérissée de livres. Il y en avait partout. Sur la cheminée, le bureau. Sur le rebord des fenêtres. Sur le sol. Derrière des piles de manuscrits, un homme apparut, grand et mince, des lunettes, le front dégagé, il avança vers moi, me tendit la main et m'invita à m'asseoir. C'était Jean-Jacques PAUVERT. De lui je ne savais rien. Sauf qu'il avait découvert Albertine Sarazin dont il avait publié les écrits alors qu'elle était en prison. Ce fut un succès extraordinaire et on en parlait beaucoup à l'époque. Je lui dis que je trouvais fabuleux une telle revanche après avoir mené une vie de galère. Et terrible qu'elle soit morte si jeune sur une table d'opération à cause d'une faute d'anesthésie au cours d'une intervention chirurgicale mineure sur l'astragale, petit os du pied qu'elle s'était brisé en sautant le mur d'une prison. L'Astragale était d'ailleurs le titre de son premier livre. Je ne savais rien d'autre. Je savais seulement que Jean-Jacques Pauvert m'écoutait, un peu comme un médecin qui ne dit rien et qui vous écoute, tantôt en baissant les yeux, tantôt en vous regardant pour vous encourager à continuer. Je savais ausi que je devais reprendre mon service d'ouvreuse dans un peu plus d'une heure. Il demanda:-Et vous? Je lui racontai ma galère à moi, avec l'artiste-peintre, la roulotte, l'errance, le froid, la faim, le dix-huitième étage du Val-Fourré, les enfants. Et aujourd'hui la séparation avec les enfants, les minables boulots, l'absence. J'ajoutais que jamais de moi-même, je n'aurais osé solliciter une rencontre auprès d'un éditeur, d'autant que je n'avais rien écrit. Je me sentais écrasée par le souvenir de ma courte et exécrable scolarité; et puis, j'était totalement inhibée par les fautes d'orthographe que je commettais à chaque mot, à chaque ligne...Il rit et me dit que l'écriture ce n'était ni l'orthographe, ni les règles de grammaire, l'écriture c'était autre chose. C'est une voix...Au moment de nous quitter, il ajouta simplement "Ecrivez une dizaine de pages de ce que vous m'avez raconté de votre vie avec cet artiste peintre. L'ordre importe peu...Ecrivez comme vous avez envie d'écrire...Et apportez-le moi ! Je vous donnerai une réponse très vite !"
Editeur-sourcier, Jean-Jacques Pauvert, le découvreur d'Albertine Sarrazin, à l'écouter, mit vite jour à une personnalité rare "Ecrivez-donc tout celà", lui dit-il
Ce qu'elle fit à la lueur d'une chandelle dans une minuscule chambre de la Bastille - mais oui je n'invente rien -. Ce fut "La Première Habitude" qui, effectivement, révélait chez cette jeune femme, qui avait quitté l'école en 4e et n'avait jamais lu un livre, un don et un goût d'écrire auxquels d'ailleurs elle allait consacrer par la suite une longue méditation littéraire, "L'Or des chambres"
Consacré aussitôt par la critique et le succès, La Première Habitude allait dépasser-toutes éditions confondues-les 100.000 exemplaires et Françoise Lefèvre avoir les honneurs du Livre de Poche..."
Publié en 1974, aussitôt couronné par le grand prix des Lectrices de Elle, La Première Habitude, raconte la désolante histoire d'un fol amour pour un peintre volage, amour qui dura sept années vécues dans la misère, suivies d'un abandon tel que les deux enfants nès de cet amour, deux filles, devront être placées, pendant un certain temps, loin de leur mère. L'écriture, dans une chambre glaciale de la Bastille, y tient lieu et place de sauvetage et dépasse le témoignage pour atteindre à ce que Françoise Lefèvre nomme elle-même une rédemption
"Mon habitude ressemblait à une marche le long d'un chemin bordé de sapins. J'avais vingt ans. J'avançais avec la force de ceux qui savent tirer des traîneaux, corsage ouvert sur le givre, le froid planté comme une lame dans les gencives. Rien ne m'importait que d'avancer. Le ciel était bleu. La cîme de cristal des sapins le transperçait comme le cri d'un alleluia. Il faisait froid"
"Je revois Saint-Jean de-Luz, je la sens, je la hume. Elle a une odeur d'océan et de thon, je revois la vente à la criée sous le soleil, tôt le matin: une montagne de thons morts. Leurs ventres glissaient les uns contre les autres en éclaboussant de sang nos pieds nus"
" Ce soir Raphaêl me peindra à demi-couchée en travers du port, un coude appuyé sur la Baie de Socoa. Il me coiffera d'un casque de Walkyrie. Mes cheveux s'envoleront autour des cornes. J'enserrerai un thon entre mes cuisses"
"En cette seconde même, je ressens comme un divorce entre Raphaël et moi. J'aurais voulu qu('il ne me laisse pas rentrer seule; J'ai besoin qu'on vienne à ma rencontre et j'ai besoin d'aller à la rencontre; j'ai besoin d'un rendez-vous. J'ai besoin de savoir que l'autre escalade un versant de la colline pendant que j'escalade le mien de mon côté"
"Même sans prendre un crayon, j'ai toujours écrit. Écrire est devenu pour moi une manière de combler le temps entre l'intolérable naissance et l'intolérable mort. Rencontrer des gens, c'est écrire. Faire l'amour et mettre au monde des enfants, c'est écrire. Ma vie avec Raphaël et après lui, ce fut dix années d'apprentissage de l'écriture. Je ne le savais pas. Ce que je lui donnais, c'était pour moi des milliers d'avortements. Je ne savais pas ce qu'il y avait de dangereux et de magique à infuser à quelqu'un par le biais de l'amour toutes les pulsions de mort et de vie qui étaient en moi. Lui en faire don, c'était accepter de n'avoir plus de chance. Je donnais ma langue, je devenais muette."
On ne peut ignorer plus longtemps un livre qui découvre à la fois une personne et le style qui lui convient...La fureur de vivre anime ce récit rédigé avec une perfection et un raffinement exemplaires. On ne peut pas faire plus belle entrée en littérature (Jean Freustié, Le Nouvel Observateur)
"L'OR DES CHAMBRES," le deuxième ouvrage, dès 1976, toujours chez Pauvert, opère comme son titre invite à le penser, une alchimie. Une vaste réflexion sur l'écriture traverse en outre ces pages dont plusieurs ne dépareraient pas les meilleures anthologiesIl transmue l'absence en caresses
"Comment raconter les odeurs, le toucher, Et ces choses simples: les bruits de la pluie dans les petits cours et celui du vent. Comme elles me pénètrent de leurs voix silencieuses. Comme elles me font et me défont. Elles sont gestes d'amants, le sais-tu? Elles sont les caresses de l'absence
"Ce titre de "L'Or des chambres" clos sur lui-même et, dirais-je, couché en rond comme quelqu'un qui voudrait s'endormir, je l'ai choisi parmi les mots qui reviennent sans cesse avant le sommeil, quant tout est calme enfin, et que nous captons sous nos paupières un peu de cet or qui fait de nous des chercheurs d'éternité "
" L'écriture ressemble à l'attente. Et l'attente est bleue. Froide comme le bleu des membres bleuis. Elle laisse derrière la porte celle qui écrit. On ne comprend rien à ce rendez-vous, à ce baiser d'aveugle. On ne peut l'éviter pourtant. On pressent que la mort sera comme ce vide au bout des doigts "
"Un jour retrouverai-je le rire qui ne se casse pas? Dirai-je à un homme que je voudrais venir dans sa maison? J'avancerai à pas de loup le long de ses murs et ferais le cri d'un animal. Cri de loup ou cri de chouette. Il viendrait me chercher. Il saurait que j'ai besoin d'un abri "
"Alors je voyagerai sur les tuiles de la maison. Je toucherai du doigt le portail et le fermerai, comme il se doit quand le soir tombe. Je m'assoirai quelques instants sur les marches du perron et rendrai grâce à la nuit d'être bien née. Je demanderai que celà dure et que jamais je ne perde un seul de mes sens. Je rendrai grâce et prendrai de la terre dans mes mains et m'en frotterai toute la peau. Je la respirerai et n'oublierai pas qu'elle sera ma dernière couche"
Temoignages:
"...Cris dignes d'une anthologie des chagrins d'amour comme :"Qui n'a écrasé sa langue contre les murs ne sait rien de l'absence"...Avec L'or des chambres, Françoise Lefèvre renoue avec la famille injustement oubliée de Marcel Schwob et de Maurice Maeterlinck "(Jean Chalon. Le Figaro)
"...Sourdes explosions d'une sensualité qui se colore de toutes les nuances de l'érotisme, mais aussi gris de la liberté neuve enfin trouvée grâce à un instrument de transformation du monde et du coeur vieux comme eux: la parole poètique" (Madeleine Chapsal. L'Express)
Le troisième roman "LE BOUT DU COMPTE" toujours chez Pauvert, en 1977, met en scène l'enfance, la naissance de la voix, la panique de l'abandon et ressuscite le père d'adoption, celui qui l'a adoptée et s'est occupé d'elle comme il l'a fait de ses quatre autres filles. Cet homme rencontra la mère de Françoise pendant la guerre, il l'aima éperdument. Il luit offrit de l'épouser et de donner son nom à son enfant. Pour assurer l'existence de la famille, il renoncera à devenir professeur et s'engage dans l'armée qui à l'époque occupait l'Allemagne vaincue. Après la guerre d'Indochine, il prendra un poste dans l'Education nationale
"On avait découvert son cadavre dans les montagnes au-dessus de Béziers. La mort remontait bien à un mois "Pour ne pas choquer le enfants, j'accomplirai ce dernier geste loin de Paris" Lui qui avait mis toute sa conscience pour que nous n'attendions pas et que la famille touche l'argent le plus rapidement possible, il n'avait pas prévu que durant quatre semaines la neige recouvrirait son corps. Ce fut un chauffeur de car qui le découvrit à la fin du mois de mars pendant la fonte des neiges. Sur son siège il était un peu en hauteur et il remarqua un homme qui dormait dans une prairie, contre un fourré non loin de la route. Quand il refit le trajet en sens inverse, il s'étonna de voir que le dormeur était toujours là.
Mon père si prévoyant n'avait pas songé à la neige. Elle dut commencer à tomber au moment où il s'écroulait, et recouvrit très vite son corps, sa sacoche et son revolver"
"Ainsi on peut partir un jour? On peut saisir son revolver sur la dernière planche de l'armoire et le glisser dans sa sacoche, et acheter un billet de train. Tout mettre en oeuvre pour que la famille ne soit pas inquiétée. Régler le moindre détail. Etre certain que l'assurance n'exclue pas le suicide. S'en informer sans éveiller les soupçons. Pourvoir jusqu'au bout; en bon père de famille"
Des années plus tard Françoise refera le dernier voyage de son père:
"Il est des voyages qu'on ne peut faire que seule. Ainsi c'est une fièvre violente qui me pousse sur le quai de la gare d'Austerlitz, cette gare d'où mon père posta sa dernière lettre. Je prends le train pour Béziers. Puis je prendrai le car pour un petit village. Il fit de même il y a treize ans. Qui rencontra t'il dans son compartiment? J'aurais aimé qu'il rencontre une femme qui le détourne de son chemin. Une femme qui l'écoute, le prenne par la main, le baise sur la bouche, le fasse bander. Une femme qui l'entraîne dans un hôtel de fortune, près d'une gare. une femme qui le fasse descendre du train avant Béziers..."
"L'indécence ce n'est pas la chair heureuse. L'indécence c'est la mort. C'est la semence, le foutre sacré qui ne jaillira plus. L'indécence, c'est lorsqu'il ne s'est trouvé personne pour vous aimer jusqu'au bout. Lorsque personne ne vous a baisé le front, les mains, les pieds, le sexe"
Témoignage:
"On savait que Françoise Lefèvre avait à profusion le don d'écrire. On découvre cette fois qu'elle a celui de se taire ou plutôt de suggérer, plus subtil et peut-être plus difficile. Certes on retrouve l'exubérance sensuelle qui avait séduit dans La Première Habitude, le sens charnel de la terre, le sentiment incorruptible d'être bénie, d'avoir la chance pour elle, qui lui permit sans doute de survivre à ce qu'elle avait vécu et qu'elle racontait dans son premier roman: la faim, le froid, les rats, et, au bout du compte, l'abandon" (Pierre Démeron, Marie-Claire)
En 1985, Françoise publie "Mortel Azur" qui sera traîté dans l'article suivant. Son 4e roman
En 1990(cinq ans plus tard) c'est "LE PETIT PRINCE CANNIBALE", son 5e roman qui paraît chez "Actes Sud" cette fois et est couronné par "Le Goncourt des Lycéens"
"Femme déchirée, écrit Hubert Nyssen son éditeur d'Actes Sud, femme dechaînée, la narratrice de ce livre est, avec toute sa passion, un écrivain qui tente de raconter l'histoire de Blanche, une éblouissante cantatrice que la mort ronge vivante. Mais elle est d'abord la mère de Sylvestre, l'enfant autiste(né en 1982 )qu'elle veut à tout prix faire accéder à la vie et au monde des autres. Or le petit prince cannibale en ce combat dévore les phrases, les mots de la mère écrivain. et dès lors c'est un véritable duo concertant qui s'élève dans les pages du livre entre deux voix, entre deux femmes, l'une, superbement triviale, s'affrontant à tous les interdits et préjugés qui menacent son enfant, l'autre, la romancière, rauque et passionnée, dont les espoirs et les désespoirs se mêlent à ceux de Blanche, son héroïne. Sortant elle-même d'un long silence, François Lefèvre fait retour à l'écriture avec ce texte flamboyant, inclassable "Hubert NYSSEN Fondateur d'Actes Sud (Arles(décédé en 2012))
Extraits du "Petit Prince Cannibale" :
Françoise Lefèvre s'adressant à son enfant: "Ce n'est pas tant la mère que tu asphyxies, c'est l'écrivain. Personne autour de moi n'en tient compte..."
"Tout est fait dans notre société pour brutaliser le sentiment maternel. Tout est fait pour qu'on se retrouve dépossédée. Les mains vides. Il faut oser aimer le petit enfant et oser le dire"
Le nouveau-né s'était calmé dans mes bras, consolé par le lait mais plus encore par la tendresse. Par instants, la monodie que je fredonnais s'arrêtait net, tant j'étais obsédée par le souvenir d'autres femmes qui n'avaient pas eu ma chance, poursuivie par le regard de ces femmes africaines dont les nourrissons morts-vivants aux yeux remplis de mouches tètent les seins vides. Et tandis que je circulais dans la pénombre avec le poids de ce bonheur, lourd comme un chevreau endormi, revenaient me hanter les fantômes de ces mères qu'on poussa dans les chambres à gaz avec leurs enfants. Afin qu'ils aient moins peur et ne pleurent pas, elles trouvèrent la force de les porter, leur cachant le visage contre elles, puisant dans leurs entrailles l'ultime ressource de leur chanter une dernière fois, jusqu'au bout, la plus effroyable des berceuses..."
"Ma liberté c'est de retourner à Blanche. Parler de Blanche. Devenir Blanche. Mourir entre l'eau et les arbres. Muette sous le ciel blanc. Muette de ne pouvoir dire l'amour dont j'ai été sevrée. Le lui faire dire à elle...Il y a en moi des paupières à jamais fermées. Des ailes à jamais rognées. Quelque chose d'une chouette effraie comme celles qu'on clouait aux portes des granges. Témoin solitaire de grands mouvements d'étoiles. Sentinelle à vif contenant ses larmes nocturnes..."
Hugo HORIOT(né en 1982)
"J'ai attendu aujourd'hui pour comprendre que peu d'êtres jouissent de l'écho d'un train qui passe. Du carillon d'une église. Du vent. De la pluie. De la nuit qui vient. La lumière soudaine sur un mur. La main d'un enfant qu'on va chercher à l'école. L'odeur du froment dans son cou. Son rire auprès des ronciers qui débordent sur le chemin. Ses doigts, ses lèvres, sa langue tachés de violet. Et puis ce parfum d'automne dans l'humus que je ramasse pour eux et qu'ils viennent renifler dans ma paume..."
Laissez-moi survivre encore dans votre livre génial et atroce. Je suis en larmes. Vous m'avez atteint au coeur, vous qui nous donnez votre chair vivante, vous qui luttez pour un enfant que j'aime, vous qui parlez avec des mots charnels : vous avez retrouvé dans ce bouleversement, dans votre épuisement, le regard de Sylvestre, ses cris, son absence sa réalité
Vous l'aurez sauvé, vous êtes entré dans sa logique, dans son trouble, parfois dans ses propres mots. Il n'yavait que vous qui puissiez donner à Sylvestre ce don quotidien, ferment de votre écriture subtile mais apprivoisée. Je suis bouleversé mais je savais que vous pourriez faire naître Sylvestre dans vos mots, un petit être perdu dans son existence bousculée, mais risquée
Françoise je ne suis rien devant vos pages, comme inutile et vous nous ouvrez un secret où je ne me sens qu'un pauvre être déchu, désemparé mais qui vous aime puisque votre maternité quotidienne nous restitue une douleur sans nom mais avec la figure soudain paisible de Sylvestre
Je vous embrasse avec ferveur et émotion (Jean Cayrol)
"J'ai souvent été agressée ou totalement ignorée par des gens aigris. Ce sont les mêmes qui ne se réjouissent jamais. Ni d'une naissance. Ni d'un bonheur qui vous arrive. Ni des progrès d'un enfant autiste. Ni surtout du livre qu'on vient de publier. Ils vous reprochent votre verve. Votre vie. Votre lyrisme. Très mauvais, le lyrisme. Et bien sûr ils sont écoeurés par votre érotisme "débridé". Je pense qu'en d'autres temps on m'aurait enfermée. Je me souviens de l'odeur des cachots. A l'opposé, c'est réconfortant d'être reconnue de son vivant, de toucher des êtres qu'on n'aurait jamais rencontrés et qui sont émus et vous le disent.C'est comme si cette violence qu'on se fait à soi-même pour écrire seulement une page trouvait enfin un écho. Alors on revoit défiler toutes ces saisons où l'on s'est empêchée de vivre. Combien d'après-midi ensoleillés derrière les volets ? Il y a tant de retrait, d'enfermement dans l'acte d'écrire que c'est étrange d'imaginer toutes ces pages ayant leur propre vie. Infusant à d'autres êtres une force bénéfique, alors que pour les écrire on s'est privée de tout.
On ne trompe pas l'écriture. On ne bafoue pas la page blanche. On ne peut pas tout au long d'un livre porter un masque et s'en tirer par une pirouette. Inventer une minable intrigue au moment où l'on allait dire l'essentiel. Et l'essentiel, c'est le désir. L'épouvantable désir. L'absence. Le vide. Le néant. Tout ce désir sans objet. Ce désir fou qui fait dire : "Je suis vivante. Je suis vivante !" Mais il n'y a personne. Alors qu'on voudrait s'empaler sur un Dieu. Hier, dans la nuit, regardant les étoiles, j'aurais aimé me souvenir d'un amour. Je me disais que la fin de la vie ne pouvait conduire que sur une route aride et déserte. Jonchée d'amours mortes. Mieux vaut s'y préparer. J'aurais sans doute, au moment de ma mort, l'impression d'être blanche. Blanche de désirs avortés. Blanche de caresses non reçues. Blanche comme le nom de Blanche. Longtemps, j'ai pensé que l'écriture ne pouvait naître que dans une prison. Une forteresse. Il y a sans doute un cachot en moi. Je suis toujours ramenée à ce lieu de douleur. D'enfermement. Depuis quelque temps, je rêve d'une écriture blanche. Vide. Froide comme le marbre. Une écriture de constat. De registre. De greffier ou de médecin légiste. Une écriture sans passion. Une froide écriture vidée de son sang. De ses nerfs. Etincelante comme la neige sous une lune gelée. De justes mots glacés comme le diamant. Une blanche écriture comme les ossements blanchis au soleil. Une écriture de désert. Mais voilà que grillent de chaudes tartines et me bouscule le museau des enfants tout saupoudré de chocolat râpé. Un air léger au piano s'échappe d'une fenêtre. Je m'interdis de penser que les heures présentes sonnent le glas. Enfants qui puisez et m'épuisez, comment ai-je pu vous mettre au monde ? De quelle moelle vous ai-je nourris pour que vous trouviez la force de courir, de rire, de rêver ? Parfois vous me rendez des bribes de ce que vous m'avez pris. Des brins d'herbe. Des boutons d'or. Des baisers. Mais vous ne me rendrez pas cette dent qui vient de tomber. Ni un ventre lisse. Je roule avec vous dans la prairie sous un ciel de nuages. Je suis amoureuse de la prairie. Ses herbes chantantes. Son bestiaire secret. Amoureuse du roulis des grandes berces sous le vent, de l'or vivant des blés. Pourquoi est-ce contre la terre que je retrouve un si grand apaisement et toutes mes forces ? Je ris avec vous dans le vent qui fait parler les arbres. Je voudrais que nos rires secouent les étoiles. Que nous fassions semblant d'être foudroyés par l'orage. Et riions d'être si vite ressuscités."
Extrait du Petit Prince cannibale (Actes Sud, 1990)
Voici Hugo Horiot aujourd'hui. Hugo a 30 ans, est comédien, écrivain et réalisateur de films-video
Ses liens sont:
Sur Facebook : http://www.facebook.com/hugo.horiot
Sur My Space : myspace.com/hh production.
Sur Dailymotion, voyez à Hugo HORIOT, les 4 épisodes de Nicolas VERDOYANT
Nouveau blog de Hugo HORIOT: http://www.facebook.com/l/a409b;hugohoriot.blogspot.com
Voici un message pour lui que m'a envoyé ce matin, sa maman Françoise Lefèvre:
"Aujourd'hui tu as 27 ans. Tu es comédien et auteur de courts métrages. Tu écris aussi
Tu t'appelles Hugo Horiot
Tu sais la vie, c'est un peu comme la traversée du Vendée-Globe. Alors, bonne route, Hugo.
Bon vent. J'ai adoré être ta mère ".
FL
Les photos de scène sont de François Sternicha Ci-dessous, dans Marie-Tudor de Victor Hugo au Théâtre du Jour à Agen
Dans "La Fausse Suivante" de Marivaux. Ces photos ont dû êtres retirées suite à la très collaboratrice et élégante menace de leur auteur Clovis Gauzy, éclairagiste du spectacle, qui m'en demande 132 Euros de droits d'auteur sous peine de porter plainte en justice. Merci à lui ! Il y a des gens comme moi qui essaient de faire quelque chose de beau, pour porter l'oeuvre de qualqu'un d'autre, gratuitement, et il y en a d'autres ......
Hugo a réalisé en 2011, un documentaire sur un peintre anartiste belge, Christian Vancau, l'auteur de ce blog et des articles sur l'oeuvre écrit de sa maman. "Homme de Boue, Homme d'argile, le vieux con qui ne se rend pas", film tourné en juin, à Moircy en Belgique et projeté à Paris-Bastille, en avant-première, en octobre 2011. Voici le DVD. Il dure 24 minutes
En 2013, il publira son premier livre "L"Empereur c'est moi" aux Editions Les Arènes, Collection l'Ionoclaste, rue Jacob à Paris
Hugo et sa maman Françoise Lefèvre, ce 28 mai 2013 aux Editions Les Arènes, au 27 de la rue Jacob à Paris
A suivre...
Ceci est un passage tiré de "Les Larmes d'André
Hardellet" et qui fait allusion au personnage de Blanche, autre livre de Françoise et de son expérience de l'autisme révélée
dans "Le Petit Prince Cannibale"
"Depuis quelques jours un homme en redingote, sans âge, cheveux et barbe gris, passe et repasse devant ma
fenêtre.(...). Il regarde avec insistance comme s'il cherchait quelqu'un (...). Il était bien plus de minuit. une seule lampe allumée, la mienne. J'étais dans la phase aigüe, somnambulique, où
l'on sent venir la fin du livre (...). Je me retournai. L'homme se tenait derrière la fenêtre. Je n'eus pas peur de cette forme silencieuse qui me regardait, familière et pourtant surnaturelle.
J'étais persuadée qu'elle me protégeait, m'inspirait, m'aidait à avancer dans ce maudit livre. Ma main soumise à une force irrésistible, à un fluide étranger se mit à écrire sur la noyée du
bassin, alors que j'étais en train de raconter l'histoire de Jean, mon petit garçon autiste (...). Mais l'homme en redingote me souffla le nom de Blanche qui s'inscrivit sur le papier sans que
j'y fusse pour rien(...).
Ainsi Blanche était son nom.
Après la publication du Petit Prince Cannibale,dans les innombrables endroits où je fus invitée pour
parler de ce livre, on me demandait souvent qui était cet homme en redingote at aussi qui était cette mystérieuse Blanche. Je ne savais quoi répondre, car je n'ai compris les choses que bien plus
tard après les avoir écrites. Pour l'homme à la redingote, je disais que c'était peut-être victor Hugo...L'esprit de Victor Hugo. Mais au fond de moi je savais que c'était surtout le souvenir de
Jean-Jacques Pauvert, puisqu'il était celui qui, me rencontrant après une longue errance dans le malheur, m'avait demandé d'écrire
une dizaine de pages qui éclairèrent toute ma vie : "Vous êtes un écrivain né. Alors, écrivez !"...
"Quant à Blanche, j'ai mis baucoup de temps, à comprendre qu'elle incarnait une certaine figure de la mélancolie et du renoncement.
Dans le Petit Prince Cannibale, la narratrice se débat entre son enfant autiste et l'écriture de son livre. Elle choisit l'enfant, l'accompagnant dans ses silences, essuyant ses terribles colères. pour mieux comprendre l'énigme de l'autisme, elle entre dan son monde. Elle entre dans une sorte de Carmel. Là où il va, elle le suit. Il s'arrête. elle s'arrête. Il tourne un objet ou se balance. Elle fait de même. Toujours en silence. Surtout ne pas parler. Ne jamais s'adresser à lui directement mais à une chaise ou un arbre. Ne jamais commenter ses actes, ni lui poser de questions sous peine d'être exclue de son monde. Se faire légère, transparente et comme inexistante. Comme lui, elle vit au ras des lavabos, sous les tables. L'oreille collée aux tuyauteries, aux planchers, sur le carrelage, la terre du jardin. Ce qu'il fait, elle le fait. Des heures. Des jours. Des années. Elle a l'impression de vivre une grande histoire d'amour. Pas banale, vraiment pas banale, c'est ce qu'elle se répète pour se donner du courage, quand elle en manque. Parfois aussi elle sourit en s'imaginant le tête de certaines personnes si elles venaient à découvrir qu'une de ses principales activités dans la journée, c'est de ramper ou de se recroqueviller avec son enfant. C'est fou ce qu'on peut revivre de sa propre enfance en repassantt par ces stades-là. Sentir les vibrations de la terre, d'une maison. Perdre son temps, soi-disant le perdre. Elle sait que les ferments de l'écriture sont nés de ces sensations enfouies dans une vie antérieure, un état de grâce perdu, et que cette vie-là, c'était l'enfance. Elle a beaucoup à gagner, à réapprendre en accompagnant le petit autiste. Bien plus à gagner qu'à perdre. Elle est heureuse de ne pas s'être laisser rafler cette histoire d'amour par les institutions psychiatriques. Et puis un jour qu'ils ont tous deux l'oreille collée contre un radiateur de fonte, il parle. Il dit :écoute le silence. Elle sait qu'elle ne doit rien répondre, sous peine de déclencher une colère démentielle chez l'enfant. Elle le sait pour l'avoir déjà subie. Elle a l'habitude de cacher ses émotions. En tout cas de ne rien laisser paraître de ses joies ou de ses peines. Le lien qui se crée entre l'enfant et elle, ce qu'ils ont noué ensemble est suffismment puissant pour lui faire oublier qu'elle est en train de renoncer à ce qu'on appelle communément les plaisirs de la vie et tous ses projets à elle. Le plus dur dans cette aventure, ce ne sont pas les longues heures passées ensemble, c'est quand elle arrache l'enfant à son monde pour évoluer dans le nôtre. C'est dans ces moments qu'elle connait l'épuisement, une sorte de calvaire. L'éponge de vinaigre. L'énergie que met l'enfant à refuser le monde est démentielle. La lutte est au couteau. Mais elle ne cédera pas. Il lui semble que sur toute sa vie à elle on renverse du vinaigre. Sur le désir, l'écriture, la relation aux autres. C'est alors que flotte et revient le personnage de Blanche comme une consolation. Blanche se tord les mains de désespoir et d'impuissance. Pas elle. Elle lui fait tout endosser de sa douleur, de ses renoncements dont elle ne parle jamais. Elle l'a fait mourir, on pourrait dire crever sur tous les plans. Mais avant tou, Blanche symbolise la part psychique de l'évrivain qu'elle est, et qui renonce à l'écriture.
Blanche, je ne l'ai compris que beaucoup plus tard, c'est aussi son éloignement du monde et de la
société, son isolement consenti, son retrait pour mieux décrypter les silences du petit autiste, l'apprivoiser et l'amener sans brutalité à communiquer avec les autres. il lui faudra dix ans pour
y arriver.
Blanche est née sans même que j'aie eu l'impression d'y avoir été pour quelquechose, m'imposant la
puissance de sa mélancolie par la voix de Kathleen Ferrier dont l'interprétation de la Rhapsodie pour contralto
de Brahms fut, tout au long de l'écriture de ce livre, mon chant intérieur
Un ALBUM DE SILENCE -18e écrit de Françoise Lefèvre-2008
Un article dans Le Monde du 6 Juin 2008 par René de Ceccaty
Un autre dans La Libre Belgique par Francis Matthysf
Ce livre est le dernier livre que Françoise m'ait envoyé, le dernier écrit et publié d'ailleurs, avec cette dédicace du 16 Mars 2010:
"Pour Christian, ce petit dernier, plein d'un spleen germanique, je suppose..
quelques pages aussi pour réveiller le lecteur qui supposerait que je me complaise dans la mélancolie..
J'espère que vous sourirez aussi en les découvrant."
UN ALBUM DE SILENCE
Inventaire de l'OUBLI
"Tout ce qui ne peut se dire qu'au moyen du silence..."
Louis-René Des Forêts
Il tombe de gros flocons.
Déjà l'an dernier.
Plus encore en ce mois de février. Il ne cesse de neiger. C'est un hiver sans fin. Un hiver qui dure. Douze mois où je n'ai rien écrit. Juste cette phrase:
Il tombe de gros flocons
Toute une année je suis restée derrière la fenêtre à regarder tomber la neige
Face à la fenêtre, face à la neige une année après, je viens d'ajouter:
Il me semble que je perds la mémoire
Les pages qui suivent sont aussi blanches que la campagne sous la neige ensevelie
Il tombe de gros flocons
Un heure pour tourner une page
Un an pour écrire une phrase.
L'éternité pour ne plus rien dire
Parfois la contemplation des flocons me transporte du côté d'Andersen. S'apaise alors une douleur qui ne me laisse aucun répit et que je traîne depuis la Nuit des temps. Liée à la disparition des êtres, l'arrachement, l'adieu, je ne sais comment la nommer. Depuis l'enfance, il en est ainsi. Alors, j'écris. Ecrire tempère un peu cette douleur sans nom.
Ecrire c'est la même occupation que regarder tomber la
neige
Ill tombe de gros flocons et, si ma mémoire s'est engourdie, c'est peut-être une manifestation pour que s'endorme la douleur liée à cette joie encore palpable, mais irrémédiablement enfuie. Il me semble aussi que je suis atteinte d'un mal étrange que je nommerai maladie de l'attachement. Pathologie non répertoriée, ne figurant dans aucun livre de médecine. Je la cache comme une maladie honteuse. Je la nomme maladie de l'attachement, car je ne trouve pas d'autres mots pour la décrire. Depuis toujours je vis avec ce mal. Je suis née avec. Je crois même qu'il existait en moi avant que je ne vienne au monde. Parfois j'ai la mémoire d'une autre vie et même d'autres vies, et le sentiment que, dans ces vies-là, j'étais déjà atteinte de cette maladie de l'attachement. Mes gènes s'en souviennent. J'ai cette impression souvent. En plus de ma mémoire, qui elle aussi s'enfuit, une autre mémoire plus ancienne que moi me laisse un sentiment de malaise, de déjà-vécu. Je ne peux y accéder que par touches explosives. Territoire où tout m'aveugle au point de ne plus voir mais de ressentir seulement. Tout se passe comme si je me retrouvais errante, sans mémoire, dans une clairière interdite, minée, où j'aurais pénétré par effraction.
Dehors, un merle chante et sautille autour des miettes
de pain que je lui ai jetées. Chaque jour, il vient chercher sa nourriture. je le regarde s'ébrouer, picorer, lisser ses plumes qui luisent comme l'éclair d'un satin bleu. Est-ce un messager?
Comment décrypter les milliers de signes que ses pattes ont tracés sur la neige durcie.
Au premier rayon de soleil, il s'envole sur un toit et lance sur l'azur retrouvé des trilles d'une force et d'une pureté étourdissantes comme pour rendre grâce à la soudaine beauté du monde qui se lève. Je ne sais quel Art de la Fugue jaillit de ce minuscule gosier. Submergée par une joie depuis longtemps oubliée, j'ouvre la fenêtre et tente de l'imiter en sifflant. Il me répond; Sa vaillance, son entêtante gaieté me sont d'un secours inespéré
Me revient en mémoire cette phrase de Bachelard :
"La roulade du merle est un cristal qui tombe, une cascade qui meurt. Le merle ne chante pas pour le ciel. Il chante pour une eau prochaine "
Immobile dans la neige qui scintille, j'écoute son chant futé qu'il module avec une ardeur inquiète, le suspendant parfois, inclinant la tête, comme s'il attendait une réponse en écho à ses trilles interrogatifs. Larmes aux yeux je l'écoute chanter sa vie brève. La joie que j'avais ressentie, alors, m'accable et me brise.
Il chante pour un adieu.
Je l'ai toujours su
Où
sont passés les cygnes sauvages?. Où sont-ils partis? Vers quels pays? Fauchés en plein vol par le virus H5N1, sans doute. Même ceux des contes d'Andersen en crèveraient. Je ne pourrai plus
m'agripper à leurs ailes pour qu'ils m'emportent loin, très loin d'ici. Presque tous sont atteints par le virus de la grippe aviaire et meurent au bord des lacs.
Déormais Hermine tu vis à Paris. La maison est vide quand elle ne résonne plus de ton violoncelle. Etrange silence des cordes qui ne vibrent plus. Dans ta chambre une partition est restée ouverte sur le pupitre : Tout un monde lointain.., d'Henri Dutilleux. Le titre a été emprûnté à un poème de Baudelaire, La Chevelure :
"Tout un monde lointain, absent, presque défunt "
Je pense soudain qu'il pourrait aussi devenir le titre de ce livre. Partout des signes, des
traces de ton passage. La colophane dont tu frottes les crins de ton archet avant de jouer, s'est brisée sur le plancher. Dans la précipitation de ton départ, tu as dû marcher dessus. On dirait
qu'on a renversé des topazes brûlées. Un trésor qu'un rayon de soleil illumine.
Lorqu'on pénètre dans la chambre d'un être qu'on aime et qui n'est plus là, il y règne une mystérieuse ordonnance des meubles, des objets et de l'espace qui les entoure. Cette impalpable alchimie de l'air et de la lumière leur donne une âme et je ne sais quoi de vivant nous retient dans la chambre déserrée. On reste là, gorge nouée, comme visité par ces rais de lumière où flotte l'aura de l'absente. On est dans un sanctuaire. Dans cet espace, qu'on a si souvent occupé ensemble, où l'on a ri, chahuté, chanté, crié, joué de la musique, désormais c'est le calme qui étreint. Livres et partitions remplis de silence, jonchent le sol. Les petites choses accumulées durant l'enfance, bibelots, grisgris, barrettes, rubans, colifichets, fouillis de vêtements, bijoux de quatre sous, feutres de couleur, papiers à dessin, photos de toutes sortes d'animaux-surtout des chevaux- attendent un retour dans ce musée de l'absence. Même l'air qui soulève les rideaux garde les effluves de ta chevelure-ambre et vanille. Je me souviens de mon enchantement quand je nattais tes cheveux. Musc léger. Foin brûlant sous une pluie d'été. Chaque matin, je te faisais des tresses avant de partir pour l'école. Nous y allions souvent à pîed pour le bonheur de traverser chaque saison. A la rentrée des classes, à la première fraîcheur, quand il fallait déjà prévoir un lainage, dans la lumère d'automne, saisissant ma main, tu me demandais avec une pointe de mélancolie si je ne trouvais pas qu'il flottait dans l'air comme une odeur de vieilles clés rouillées. Les hirondelles se rassemblaient sur les fils électriques. Le cri des oiseaux n'était plus le même. On marchait dans la lumière et l'odeur de l'automne. On baignait dans l'enchantement de cette saison. Et pourtant, on avait le coeur serré. Tu me parlais des Quatre saisons de Vivaldi, dont tu souhaitais écouter l'Automne ce soir-là en rentrant de l'école.
A seize ans Hermine est admise au Conservatoire de Paris. Elle y fera des séjours de
plus en plus fréquents, de plus en plus longs..
Mardi 12 juin 2007. Hier soir Hermine, tu étais invitée par le Quatuor Manfred pour jouer avec eux le " Quintette pour deux violoncelles de Franz Schubert". Le concert a eu lieu aux Hospices de Beaune
Il y a sept ans, tu avais alors 13 ans, le Quatuor Manfred a joué ce même quintette avec un prestigieux invité,
Mstislav Rostropovitch. C'était à l'Abbaye de Fontenay en Bourgogne, dans le cadre de la célébration du neuvième anniversaire
de la Fondation de l'abbaye de Citeaux. Une foule immense était venue à cette occasion. Des écrans permettaient de voir le visage des musiciens Je me souviens de la passion, de la formidable
énergie qui animait le visage de Mstislav Rostropovitch. Son regard surtout qui cherchait sans cesse celui des musiciens. Je me souviens des chauve-souris qui volaient, rasant la tête des
spectateurs. Je me souviens de cette façon particulière qu'avait Rostropovitch de tenir son violoncelle. Presque couché. Je me souviens de toi, Hermine, de ton écoute. De ton
émerveillement.
Depuis sa plus tendre enfance, Hermine aime les chevaux. Le cheval de ses rêves: un étalon
andalou Elle a mené son enquête, réuni toutes sortes de numéros de téléphone, d'adresses internet, de renseignements sur les éleveurs ou revendeurs de ces chevaux. Après les livres
qu'elle a lus, les visites dans les élevages et dans divers salons du cheval, son choix se porte toujours sur les Frisons, les Lusitaniens, les Espagnols. Ce qui l'attire chez les chevaux de ces
origines, c'est leur caractère calme, leur aptitude au travail et, aussi, qu'en toutes circonstances ils savent rester "froids dans leur tête". Elle nous explique qu'ils ont des origines très
anciennes. Ils ont servi aux Conquistadores et aujourd'hui, en raison de leur calme, on les utilise pour les corridas, les férias, les processions religieuses, les parades militaires. Après bien
des déplacements en France, après avoir vu évoluer une dizaine de chevaux, on finit par trouver celui qui fera sa joie. On lui présente un
magnifique étalon andalou gris argenté avec une longue crinière, une très belle tête, l'oeil d'une grande douceur. Comment s'appelle-t-il? Doncel VI. On nous dit qu'il est "réformé" des férias de Séville et qu'il a neuf ans. Dès qu'elle le monte, il incline sa puissante encolure
Sur la petite route de campagne où elle s'engage avec lui pour la première fois, le bel étalon prend des attitudes très particulières quand il trotte
Il tient sa tête abaissée et lève ses antérieurs si haut qu'il semble parfois en suspension dans les airs. On dirait
qu'il danse. C'est un spectacle merveilleux et touchant de regarder ce cheval aux allures relevées si nobles pratiquer de lui-même des pas de haute école. Il trotte comme un cheval de parade.
Quand elle lui demande le galop, il part sans brusquerie et s'arrête de lui-même. Je les regarde s'éloigner à nouveau, crinière et cheveux au vent. On sent que la fusion entre le cheval et sa
cavalière est immédiate. C'est le coup de foudre. une grande histoire d'amour et de confiance va commencer
A propos du Petit Prince cannibale:
"J'y racontais comment j'avais mené seule ce combat contre l'autisme de mon fils. Je n'attendais rien des institutions. Ni de personne. L'autisme n'attend pas. Il est comme la vague meutrière. Il ravage tout sur son passage. Certes, dans cette aventure, j'aurai laissé beaucoup de mes forces, de ma joie, de mon insouciance. Mais j'aurai vécu une histoire exceptionnelle. Elle est peut-être là, ma traversée des océans à l'envers et en solitaire. Elle serait totalement oubliée, si je ne l'avais consignée dans un livre. Puis un autre. Une fois de plus, je pense que c'est mon entêtement qui m'aura poussée à m'occuper seule de mon fils, loin de l'indifférence, voire du mépris et de l'hostilité des uns et de autres, de l'immobilisme des institutions. Mais, avant tout, je ne voulais pas que quiconque me rafle la grande histoire d'amour que je vivais avec cet enfant. Ensuite, je me sentais taillée pour ce combat.. Justement contre les forces et les courants contraires. Ce fut en effet une traversée des plus solitaires.
Mais comment ne pas avoir été bouleversée par cette phrase si mystérieuse prononcée à voix basse, presqu'inintelligible, par mon fils à l'âge de six ans:
"Quand on perd l'équilibre, on perd son royaume"
Cette phrase est un trésor. C'est elle qui m'a donné la force d'écrire deux livres le concernant et surtout l'envie de comprendre, de l'apprivoiser et d'entrer dans son monde au lieu de le laisser massacrer par les aveugles et puissantes institutions.
Hugo Horiot, le Petit Pince cannibale en tournage chez moi en Belgqiue, en ce début juin 2011
Aux informations, on ne parle plus du jaseur boreal, que je n'ai jamais vu. Où est-il parti? Le seul fait d'écrire son nom me plonge dans le ravissement
Je veux me souvenir des fenêtres heureuses.
J'ai toujours aimé les fenêtres. où que je me trouve, je vais à la fenêtre
Avant- mais quand?-le fenêtre de ma chambre donnait sur unr prairie heureuse.
Eté comme hiver, je l'ouvrais. Quand arrivait le mois de juin, ivre de l'odeur des bois, de la sève des arbres, je m'étourdissais du bruissement des
abeilles. Bruissements du désir. Impatience de la peau. Légèreté de la marche. Légèreté du corps amoureux...Battements fous du sang. Cadence venue du fond des âges. Pieds nus sur les dalles, je
m'élançais à la recherche de l'homme que j'aimais.
Je courais d'une fenêtre à l'autre, les ouvrant toutes, l'appelant. Personne. Immuable, la nature respirait. Aurais-je dû comprendre que ce bonheur n'en était peut-être pas un...Pourtant chaque matin, regardant par la fenêtre, il me semblait que c'était le bonheur que je contemplais, même si, sourdement, je savais que ma vie durant il me faudrait lutter pour le sauver du désastre.
Certains bonheurs n'autorisent aucun repos.
Aujourd'hui, cette fenêtre à laquelle je me suis si souvent accoudée semble flotter dans les limbes.
C'est l'hiver. Une chambre dans un hôtel désert au bord de la mer. Do not disturb. Elle garde la chambre jusqu'à midi. Elle veut en finir avec ce livre. Avec son histoire. Avec cette douleur. Ecrire ce qui la tue. Elle se revoit dans la maison à l'attendre, murée dans sa foi amoureuse. Et s'il avait eu un accident. Et si l'avion avait eu du retard. Son portable ne répond pas.Impossible de le joindre. Sa voix. Sa voix adorée lui manque. Pourquoi n'appelle t-il pas ?. Plus tard il dira qu'il n'y avait pas de réseau, là où il était. Il n'avait plus de batterie. il ne trouvait plus son chargeur. Il dira que ce n'est pas raisonnable de l'attendre ainsi. Pourquoi ne s'est-elle pas couchée? Elle ne devrait pas veiller. Elle devrait dormir en toute confiance. Elle a de la chance de rester auprès de leurs enfants tandis qu'il s'échine à courir le monde. Elle se revoit dans la maison à l'attendre des nuits entières, murée dans sa foi amoureuse. Sa confiance, sa patience. Longtemps après sa mort, elle en est sûre, son fantôme restera derrière la fenêtre ou flottant dans le couloir, un enfant dans les bras, car les enfants parfois se réveillent et pleurent la nuit. Elle revoit ces nuits d'hiver, ces nuits d'été, où dans la grande maison elle circulait pieds nus de fenêtre en fenêtre avec ce poids de plus en plus lourd, celui de l'enfant consolé qui s'est rendormi; Ce poids merveilleusement lourd de l'amour et de l'apaisement retrouvé. Dehors les abois des chiens, les cris de la chouette, le vent dans les arbres, les voitures qui passent. Un ciel magnifique. Elle pense un ciel d'Italie. Quand il rentre enfin, il a cet air étranger, fermé. il fuit dans le silence. Elle cherche son rfegard. Ment-il? Non, il ne le peut pas. Entre eux trop de serments. Trop de complicité. trop de confiance. trop d'épreuves. Trop de deuils. trop de courage. Trop de rires. trop de tendresse. Trop d'amour.
Ma mémoire vient de lâcher.
Dans ce délabrement que j'espère passager, je n'arrive plus à me souvenir de ce qui m'occupait ces derniers jours. On me dit que j'étais en train de
commencer un livre. Le dix-huitième...Pour m'en convaincre, on m'entraîne devant une étagère où ils sont rangés. Ma première impression, c'est qu'ils tiennent peu de place. De l'index, je frôle
leur dos. Je les regarde. J'incline la tête pour en lire les titres. Ils me sont étrangers et pourtant chacun m'a mobilisée corps et âme, autant que celui que j'essaie de continuer aujourd'hui.
Avec eux, j'ai bien plus qu'un lien. une étrange intimité, une dépendance comme avec un être que j'aurais aimé. Et ce lien s'est défait sans bruit, sans même que je m'en aperçoive, me rendant à
une absence sans nom. Et c'est une autre façon de mourir. Cela, au moins, je le comprends. Dans ce trou noir, de vagues réminiscences éclairent parfois les zônes d'ombre de ma mémoire, un peu
comme une ampoule vacille avant de s'éteindre tout à fait. Et ce qui surgit du passé m'accable davantage qu'une franche amnésie. De là vient la douleur que je ressens. Je suis face à un village
en ruine où l'on me demande: -Est-ce que tu te souviens?- Je retrouve un ciel, une odeur, un cri d'oiseau. Un vertige ressurgit de l'enfance. Je crois que cela s'appelle la joie. Oui, c'était la
joie. Cette joie perdue. Dès la première heure, perdue. Maintes fois perdue. Soudainement retrouvée. Comme le bleu après l'orage. Courtes trêves sans raison. Aujourd'hui, je l'ai compris, la
perte de ce don d'aimer, de la capacité de me réjouir sont la cause de cette douleur qui ne me quitte pas. Les efforts que je fais pour reconquérir cette allégresse me semblent parfois
insurmontables.
J'ai hâte d'en finir avec ce texte.. J'aborde mon soixante-quatrième été. Bientôt mon soixante-cinquième hiver...
Pour toi Hermine, ce sera le vingt et unième. Mais toi, tu resteras toujours dans le printemps. Je pense au jeune bouleau que tu as planté et soigné durant toute une année en classe de CE2. Tu avais huit ans. De tous les arbres qui ont pris racine ce jour-là, c'est celui qui a poussé le plus haut, le plus droit.Je ne sais si c'est dû à son espèce ou parce que tu as la main verte. Le jour de la plantation, nous sommes allées le voir ensemble.
Je ne peux m'empêcher de penser à la tronçonneuse imbécile qui un jour, forcément l'abattra.
Soudain j'ai besoin d'en finir. Je veux écrire la dernière page de ce livre avant même d'achever les chapotres qui la précèdent. Je veux le faire
auprès de ce jeune arbre qui me parle de toi, de l'amour, de ton violoncelle, de l'absence, du temps qui a passé, des larmes de l'humanité. Je lui demande de me transmettre un peu de sa sève afin
que je trouve la force d'aller au bout de ce texte. J'embrasse son tronc. Je pose les mains sur son écorce qui se déroule jusqu'à la cime comme un parchemin lumineux dont j'essaie de déchiffrer
l'écriture secrète. J'écoute le murmure du vent dans son feuillage. Je ne me lasse pas d'y regarder le tremblement de la lumière. Je pose mes lèvres sur son écorce odorante qui par endroits
s'effiloche comme des rubans de soie. J'ai appris qu'en brûlant l'écorce du bouleau on obtient une huile, le diogot, qui donne son odeur particulière au cuir de Russie.
A peine étais-tu rentrée dans la cour de l'école qu'un orage qui menaçait au loin a brusquement éclaté. Aux premiers coups de tonnerre, aux premiers éclairs, une ombre est passée dans tes yeux. Tandis que je m'éloignais à reculons en t'envoyant des baisers, tu as couru vers moi. Alors je t'ai serrée dans mes bras, nous avons valsé dans la lumière de l'arc-en-ciel qui venait de se lever. Ivres de pollen et de joie, nous avons tournoyé dans la beauté du monde. Ensemble et à voix haute, les yeux dans l'azur revenu, nous avons dit et redit ce vers de Mallarmé.
Telle une clameur :
"Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui....
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui...."
22 novembre 2004
2 septembre 2007
PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE
1. 1974 - La Première Habitude (Editions Pauvert-Republié dans "J'ai Lu ")(Grand Prix des Lectrices de "Elle", 1974)
2. 1976 - L'Or des chambres (Editions Pauvert
3. 1977 - Le bout du compte (Editions Pauvert)
4. 1985 - Mortel Azur (Jean-Jacques Pauvert chez Mazarine- Réédité chez "J'ai Lu" en 1999)
5. 1990 - Le petit Prince Cannibale (Actes Sud, republié chez "J'ai Lu") (Prix Goncourt des Lycéens, 1990 )
6. 1993 - Blanche c'est moi (Ediions Actes Sud)
7. 1994 - La Grosse (Editions Actes Sud)
8. 1994 - Hermine (Editions Stock)
9. 1995 - Surtout ne me dessine pas un mouton (Editions du Rocher)
10. 1997 - Un soir sans raison (Editions du Rocher)
11. 1998 - Les larmes d'André Hardellet (Eiditions du Rocher)
12. 1998 - Consigne des minutes heureuses (Editions du Rocher, republié chez "J'ai Lu").
13. 2000 - En nous des choses tues (Editions du Rocher)
14. 2000 - Souliers d'automne (Editions du Rocher)
15. 2001 - L'Offrande (Editions du Rocher)
16. 2002 - Alma ou la chute des feuilles (Editions du Rocher)
17. 2004 - Se perdre avec les ombres (Editions du Rocher) (Prix Marcel Aymé
18. 2008 - Un album de silence (Editions Mercure de France)
LiVRES SUR FRANCOISE LEFEVRE.
UNE AUTRE QUE MOI de Sabine BOURGOIS- K Editions-26190 Rochechinard-2004
Un très beau livre écrit, au début des années 2000, par une jeune lectrice, Sabine BOURGOIS, au départ d' une lettre envoyée à Françoise, Lettre qui devient Livre et au surplus remporte un prix littéraire "A la découverte des écrivains du Nord",en 2004 ou "Prix Furet du Nord" lui remis à Lille, par le Directeur délégué du Furet du Nord, Pierre Coursières
Avec l'autorisation de l'auteur, mon amie Sabine Bourgois
"Il m'a fallu du temps pour me faire à l'idée de vous partager. Et puis avec qui vous partager ?
Vos livres, je ne les prêtais à personne. Ils ne sortaient pas du rayonnage où je les laissais reposer, sur l'étagère la plus basse. D'autres étaient placés en lieu sûr, derrière la porte d'une table de chevet.
J'ouvrais la porte, je les prenais, les palpais longuement puis les rangeais. C'était un cérémonial de rien par lequel je puisais des forces, une imploration silencieuse et secrète, la certitude que ces livres n'étaient pas seulement des livres, et qu'ils avaient le pouvoir de m'emmener plus loin
"Votre voix sort lentement d'un long couloir. Voilà l'image: celle du train dont on peut apercevoir dans le lointain les feux de la motrice, le nuit, sur un quai de gare quasi désert .
On distingue au loin les feux de la motrice; et l'impatience d'accueillir le passsager pour lequel on se tient debout dans le froid, immobile, rend l'avancée du train vers l'extrémité de la voie encor plus lente, plus détachée. A l'impatience se mêle l'appréhension, la langue se plaque contre le palais.
J'aime votre voix tâtonnante, choisisssant ses mots, puis les prononçant sans plus aucune hésitation. Une voix rare à laquelle je n'ai pas accès. Cette voix a choisi le silence, elle parle par la main, par l'écrit. Nous perdons sa volupté grave, l'appel de grottes, d'églises, le cri venu d'uncachot, une voix en perspective comme une toile peinte et ses différents plans. C'est une voix souterraine. une voix de source. Lorsqu'elle perce la surface de l'eau, c'est l'étonnement.
Je vous ai écoutée pendant près d'une heure au téléphone. Vous ne mesuriez pas votre temps. Jaurais voulu conserver votre voix comme je peux conserver vos livres. Mais je connais déjà cette sensation avec la voix des morts. Au moment où je me les rappelle, où je les écoute en moi-même pour ne pas les oublier, pour m'en souvenir jusqu'à ma mort, je suis encore plus seule. A ces moments la mort serait attrayante, si elle permettait de rejoindre ces voix que j'ai tellement aimées.
Votre voix ne m'a pas pris la main. Votre voix a marché devant moi, et je l'ai suivie, en marchant un peu à vos côtés, un peu à votre suite. J'ai essayé de saisir tout ce que vous aviez à me dire, et de tout retenir. Ma mémoire s'est transformée en un panier que j'emplissais et emplissais. Puis il fut plein et vous n'aviez pas fini de parler. J'avais des mots et des phrases dans les poches, le pull, les mains. Tout était important surtout le fil de votre voix qu'il ne fallait pas rompre. Je balbutiais des mots, je vous les tendais, vous les preniez, nous tentions de raccomoder notre conversation. Vous accrochiez ce fil au vôtre, et vous repartiez en tête, délestant encore tous ces mots et parfois une douleur contenue. Je tendais les mains. Pour recevoir la douleur je tendais les mains. Je ne sais pas si j'ai souvent refusé de partager la douleur. Refusé de partager le plaisir: oui. Refusé de partager la solitude: oui. Refusé de partager la douleur, je ne sais pas. Parfois la douleur de l'autre devient immédiatement la mienne. Et si je dois partir, je l'emporte avec moi. Et si je ne sais pas la porter, j'en porte la culpabilité, qui est une autre forme de la douleur."
"Françoise. Je voudrais vous rencontrer pour démythifier l'image que j'ai de vous. Pour me libérer des liens que j'ai tissés entre vous et moi. pour que vous m'apparaissiez enfin comme un être humain, ni pire, ni meilleur. Pour qu'à mon tour je puisse écrire, même mal, même dans la douleur et même par bonheur. Car l'écriture m'est nécessaire également. Je vous ai érigée en maître de l'écriture et j'ai tant besoin de vous détrôner : Car l'oeil de celui qu'on vénère est aussi l'oeil de Caïn "
Livre admirable, une véritable écriture, elle aussi. A lire impérativement
"Les Caresses de l'absence chez Françoise Lefèvre" de Pierre Perrin (Editions du Rocher - 1998)
Cet article est le septième que je publie sur l'oeuvre de mon amie Françoise Lefèvre.
SE PERDRE AVEC LES OMBRES (17e
ouvrage de Françoise- 2004) PRIX Marcel AYME
Un article du Journal " LE MONDE ", du 6 Juin 2008"
Ce roman, écrtit en 2003 est lié aux deux précédents, "L'Offrande" et "Alma ou la
chute des feuilles" et forme avec eux une sorte de trilogie
"Parfois vous avez découvert certains lieux qui soudain, paraissent très solitaires. Vous vous êtes assis à cette table d'auberge dans la campagne. Vous vous êtes arrêtés au creux d'un vallon quelconque. Inutile d'aller jusqu'au fond des bois. La maison, la simple maison, par moments se révèle déserte. Il suffit qu'une amitié soit devenue lointaine, qu'un silence ait pesé et que le soleil brille avec tant de beauté que les fenêtres semblent perdues au fond des âges. De cette solitude, le lieu et l'heure étaient des témoins si purs que nous ne pouvons les oublier"
André DHÔTEL
Ce n'était qu'une histoire
(France Observateur, 13 avril 1954)
"La Route inconnue"
D'OMBRE ET D'OUBLI
ILSUFFIT QU'UNE AMITIE SOIT DEVENUE LOINTAINE
L'aube aimante
A l'origine de ma vie, au commencement de mon amour, il y avait l'aube. Claire, bienfaisante, aimante comme la main d'une revenante qui vous protège et vous suit.
Ce n'était pas l'aube que je connais aujourd'hui, dans le chagrin d'un amour perdu. Aube de toute les agonies. Aube des charniers et des oiseaux morts
Non ce n'est pas l'aube des bourreaux. Des exécutions. De la guillotine. De la torture. Des lapidations. Des mutilations
L'aube des cendres
Ce n'était pas l'aube des trahisons, des mensonges. Du reniement.
L'atroce reniement
On ne devrait jamais pouvoir déchiffrer le mensonge dans un regard, à l'instant même ou ce regard adoré, si beau, si pur est en train de vous trahir. Avoir eu accès à cette connaissance est la pire des douleurs.
Je veux retrouver l'aube que j'ai connue, jadis.
Comme une patrie. Sans nom. Sans frontière.
Entre ciel et terre.
Aube de toutes les résurrections.
Si Dieu avait un visage, ce serait l'aube
J'ai encore la force de murmurer à je ne sais quel ange venu dans l'aube:
"Accompagne-moi
Ne me lâche pas
Aide-moi à tenir debout"
L'aube appartient aux amants.
A l'enfant consolé, soupirant de bien-être dans des bras retrouvés.
L'aube appartient à l'émerveillement de vivre.
Au tremblement du bonheur.
Au premier cri d'oiseau.
Aux chants de la terre.
A la joie retrouvée.
Aube que je préfère à l'aurore qui vient juste après.
Aube qu'on appelle aussi crépuscule du matin.
Oh, comme la fenêtre semble perdue au fond des âges...L'ouvrir.
Chaque matin, il faudrait renaître. Déchirer les ténèbres. Traverser les limbes. Trouver la force de se remettre soi-même au monde.
Je regarde monter cette clarté qui dissipe la nuit. Derniers cris des chouettes effraies. D'ici quelques
secondes, l'aube aura envahi la moitié du monde. Je suis comblée par cette promesse de vie. Pourtant ma poitrine n'arrive plus à contenir ce que j'ai perdu et qui déborde en un chagrin
irrépressible. A cette désolation, j'ai laissé prendre toute la place. C'est maintenant une béance, un abîme.
Je vais dans la vie avec cette tristesse qui me fait honte à cause des bonheurs que j'ai connus et que je suis incapable de revivre. Je n'arrive pas à mettre un nom sur les raisons de ce déchirement. Je ne peux pas ou je n'ose pas.
Parfois, cette souffrance me semble antérieure à ma vie
Il est probable qu'en amour la duplicité d'un être qu'on a aimé, ses serments, son habileté à vous ficeler dans ses mensonges pour mieux disposer de votre confiance et de votre vie, les trahisons dont il fut capable et pour finir son reniement, affaiblissent considérablement celle ou celui qui reste à terre. La conscience de s'être leurré si atrocement fait de vous un autre être, comme déportée dans des terres désolées. Chaque matin, on s'éveille dans une cité en ruine. On erre dans les décombres d'un cataclysme. On a la mémoire gelée. Pourtant, vous frôle par instants le souvenir d'un bonheur perdu, celui d'avoir habité un royaume, aujourd'hui rayé du monde, où l'on a connu l'émerveillement de vivre
Est-il possible que la maison, la simple maison, elle aussi, se révèle déserte ?
Qui se tient derrière ces fenêtres perdues au fond des âges ? Courant de l'une à l'autre. Qui guette? Qui espère un retour qui n'aura pas lieu? C'est moi, j'en ai bien peur. C'est une part
de mon être qui s'exerce à retourner en poussière. Femme lisant à sa fenêtre.
Vermeer
Dans cette vie, je me serai tenue derrière les fenêtres. J'aurai beaucoup attendu. Espéré. Supporté. Avec la patience de l'eau usant la pierre. Patience du granit poli par des siècles d'attente. J'ai toujours été dans l'érosion, façonnée par ce lent travail qui a fait de moi une montagne de résistance.
Déjà dans mon enfance, je pressentais qu'attendre ainsi derrière les fenêtres, attendre un improbable retour, me conduirait à ma perte. Au bûcher.
C'est pourtant ainsi que j'ai vécu.
Me consumant.
"...le soleil brille soudain avec tant de beauté que les fenêtres semblent perdues au fond des
âges".
Comment la lecture d'une phrase si simple peut-elle me conforter et m'aider sur le très aride chemin, qu'est l'écriture d'un livre. Une source. Voilà ce que sont les mots de cet auteur. Au pied d'un arbre, une brusque sérénité. Un repos qu'on n'espérait plus. Loin, très loin de l'aspect "commercial"qu'il faudrait s'efforcer de donner à un livre. Pour ferrer quels lecteurs? Idée à laquelle on ne veut plus penser. Dépouille qu'on regarde se balancer au loin comme un gibet à sa potence. On reprend sa route.
Seule compte la phrase qui nous a donné cette joie et nous remet au monde. Sur notre front comme un baiser, elle pose un peu de la clarté du jour.
"...le soleil brille soudain avec tant de beauté que les fenêtres semblent perdues au fond des âges."
A lire ces mots je ressens une protection absolue. Un accompagnement sans failles. Un baiser de l'au-delà. Un bras invisible entoure mes épaules. On m'enveloppe dans une cape enchantée dont les pans permettent de cacher mes larmes, d'essuyer mes yeux. Car, à me dire et redire, le fin de cette phrase me fait pleurer :
...les fenêtres semblent perdues au fond des âges...
Elle porte en elle, le germe d'un amour simple et déjà perdu. Elle porte en elle, l'horreur et la douleur du perdu, en même temps que le souffle d'une éternité incompréhensible. inabordable. Si peu immédiate. Et pourtant coutumière. Presque palpable. maintes fois frôlée.
A celui qui l'a écrite, je demande secours. Je demande asile. Car depuis toujours, je me sens, moi aussi, perdue au fond des âges. De mes poings, je tambourine aux portes du palais que je crois reconnaître. Personne ne répond. Je me trompe sans doute.
N'est-ce pas à cause de cet égarement, fait d'ombre et d'oubli, que j'écris?
Pour retrouver mon chemin.
Simplement, un chemin...
"Le langage est la seule résurrection pour ce qui a disparu."
Pascal QUIGNARD
Sur le jadis-Le dernier Royaume II
(Grasset, 2002)
JOYEUX ANNIVERSAIRE
Le 22 novembre 2002, j'ai eu soixante ans. Le besoin de disparaître a été plus fort que tout. Je voulais être seule, me soustraire aux êtres que j'aime. Non pour leur faire subir je ne sais quels reproches muets, mais la lassitude de vivre, la volonté de me détacher avait tout envahi.
Il faisait nuit. Il pleuvait. Je décidai de quitter la maison et de m'arrêter dans le premier hôtel venu. C'était triste. Désolant. Aussi désolant que lorsque je m'enlise dans les marécages de mes cauchemars. No man's lands glacés, où l'on erre comme une âme inconsolée.
Une âme qui n'arrive pas à s'arracher.
Au volant de ma voiture, en m'éloignant de la maison, j'aurais voulu tout effacer de ma mémoire. Surtout l'amour et le sentiment maternel. Tout ce qui a gouverné ma vie. Autrement dit ce qui a raflé mon temps. Merveilleux amour dévorant. Oublier ausssi les livres que j'ai écrits. Oublier les jours, les semaines, les années, à aimer, à écrire, à veiller comme la sentinelle que je n'ai cessé d'être. Je n'arrivais plus à dissocier le chagrin de la joie. Soudainement il m'apparut que mes joies avaient été fondées sur des leurres, des mensonges, des chimères. J'ai peut-être été seule à croire aux forces de l'amour. ces forces qui me quittent aujourd'hui, je dois apprendre à m'en servir autrement. Je dois apprendre à aimer autrement. Parfois, les minutes heureuses m'auront demandé beaucoup de peine.
C'est curieux d'écrire que la joie peut coûter des efforts inouïs. Comme s'il fallait aussi du courage pour être heureux, plus exactement pour paraître heureux, à certains moments de sa vie.
Je ne comprenais rien à cette vie finissante. Pauvre. Si pâle finalement. Pathétique, bien souvent. En y songeant, je me sentais comme une algue au fil de l'eau. Emportée par un courant que je savais ne plus avoir la force de remonter
Je hais les célébrations. Elles finissent toujours par ressembler à des cérémonies mortuaires. Ni cadeaux, ni compliments. Ni couplets. Rien. C'est dans la vie de chaque jour qu'il faut se montrer inventif, spirituel. C'est dans la vie de chaque jour qu'il faut réfléchir à la mort qui peut surprendre chacun d'entre nous. C'est aujourd'hui et maintenant qu'il faut la combattre et lui barrer les passage. Réinventer la joie. Rire et aimer. Malgré tout.
Pour l'heure qu'on me laisse partir, respirer en dehors de cette vie, dite de famille, si lourde parfois. Dévorante. Tuante. Si injuste pour celle qui lui aura consacré sa vie. Tant de fois, j'ai dit: Adieu voyages et volupté. Insouciance et liberté. Adieu.
La veille de cet anniversaire, on m'a arraché quatre dents. Ne dit-on pas : Un enfant, une dent en moins"? J'ai quatre enfants
Le jour de mes soixante ans, j'ai coupé mes cheveux. Pour les dents personne n'a rien vu. Personne ne peut rien voir. Ce sont des dents du fond. Et je ne ris plus beaucoup. Comment dit-on, déjà? A gorge déployée. Je ne ris plus à gorge déployée. Pour les cheveux, certains m'ont dit que c'était beaucoup mieux ainsi, que cela me rajeunissait, que c'était conseillé de se couper les cheveux à partir d'un certain âge. Etc...etc.
Au fond les gens adorent la castration .
Je m'arrête devant un petit hôtel dont l'enseigne au néon bleu scintille dans la nuit de mon anniversaire. J'y lis le nom d'un écrivain romantique,
tracé en lettres couchées, avec des pleins et des déliés comme sur ces cahiers d'écoliers autrefois. On dirait une signature. La sienne peut-être? Je me dis que je serai sous de bons
auspicesHélas, malgré son nom
de poète et une façade pleine de charme, l'établissement se révèle peu avenant. La patronne au faciès de bouledogue aboie, plutôt qu'elle ne parle. Elle me dit que l'hôtel est en
réparation. Elle consent à me louer une chambre, m'avertissant que malgré le froid de cette fin de novembre, il n'y a pas de chauffage et pas d'eau chaude. Elle ajoute que c'est à prendre ou à
laisser. Il est tard je n'ai pas le courage de chercher
Dans l'hôtel si charmant de l'extérieur, des cloisons défoncées, du placo-plâtre entassé. Des fils électriques, traînant à terre, serpentent jusque dans l'escalier. Dans la chambre glaciale et humide, subsiste une odeur de mégot. A la fenêtre, les doubles rideaux à grosses fleurs orange et marron, dans une matière qui ressemble à celle des alèses, sont décrochés et ne ferment pas. Impossible de se soustraire à la lumière des réverbères et aux passants. Le couvre-lit maculé de taches sent le tabac froid. Les draps qui n'ont pas été changés puent la sueur. Il n'y a pas de lampe de chevet. Juste une ampoule nue au bout d'un fil sortant du plafond. C'est le seul éclairage permettant de voir un peu ce qu'il y a dans le cagibi qui tient lieu de salle de bains...
Je pose la bougie sur la tablette de la salle de bains. Dans le miroir sombre au-dessus du lavabo, quelqu'un me fixe que je ne reconnais pas. C'est moi.
C'est face à ce miroir que j'ai décidé de sacrifier ma chevelure, qui gît maintenant au fond du lavabo.
Dans cette chambre où je me suis retirée, je suis prête à replier mes ailes. Comme si c'était l'heure. L'heure de quoi? J'accomplis un travail de deuil que je ne comprends pas.
Mais avant qu'on me laisse vivre dans des souvenirs flottants et lumineux. J'entre dans le clair-obscur d'une vanité cent fois contemplée. Je m'y consume avec la flamme d'une chandelle. J'entre, je retourne, je demeure dans cette peinture adorée, La Laitière.
C'est un peu comme si je
retrouvais ma place dans le clair-obscur de cette cuisine où fermente la vraie vie. J'ai les pensées de la Laitière, tandis qu'elle se concentre en versant son breuvage. Il y a dans ce geste une
abondance, si nue, si simple qu'il me fait battre le coeur plus fort. Trêve absolue de la barbarie
Françoise Lefèvre à 30 ans
Chaque fois que j'ai préparé un repas, la Laitière le faisait à ma place
J'aime ses manches retroussées, la force de ses avant-bras. Elle pourrait arracher du sol n'importe quelle bûche, n'importe quelle bassinne pleine a ras bord. N'importe quel mioche hurlant et se débattant, n'importe quel vieillard agonisant. Elle ne recule devant aucune tâche, aucun fardeau. J'aime l'odeur de pain et d'osier flottant autour de cette femme. J'aime entendre le tintement du pichet de terre heurtant la jatte quand elle verse la crème de lait, et, montant de la rue, le martèlement des sabots des chevaux, le crissement des roues de charrette. Dehors est-ce l'hiver? Y a t'il de la neige?
Je me baigne
dans une source verte et ombragée avec la Gardeuse d'Oies, peinte par Rembrandt. Je dors dans le lit de Van Gogh
Dans sa chambre pauvre et lumineuse, où regarder ses godillots ou un simple tournesol, peut rendre fou. Je venge les malheureuses héroïnes des contes d'Andersen. Surtout la petite marchande d'allumettes. juste avant qu'elle ne meure de froid, j'arrive à vendre, je devrais dire à fourguer toutes mes allumettes aux passants indifférents sur un trottoir de neige, la nuit de Noël. Mais je suis arrivée trop tard. Sa mort hantera toute ma vie.
Comme la Petite
Sirène, lors d'un naufrage, j'ai sauvé, moi ausssi, un homme de la noyade. Et même un peu plus. Il s'agissait de cette mort de l'âme, cette désespérance qui tue lentement. Il a dit m'aimer plus
que tout au monde et qu'il mourrait, si un jour je devais m'éloigner. J'ai mis au monde les enfants qu'il souhaitait si ardemment. Moi aussi, je l'ai terriblement aimé.
Le jour où j'ai découvert qu'il me trahissait, il m'a désavouée. Et c'est comme s'il ne m'avait jamais aimée. Jamais connue. C'est une terrible douleur.
Mais je ne suis plus dans la peau de la Petite Marchande d'allumettes, ni sous les écailles de la Peite Sirène, que son prince imbécile n'a su reconnaître ...
J'ai toujours su renaître de mes cendres;
VERMEIL, VOUS AVEZ DIT VERMEIL ?
Le 22 novembre 2002, lors de ma modeste cavale, mon premier geste fut de me rendre à la gare avec une photo d'identité. je souhaitais me faire établir une "carte vermeil". C'est le mot vermeil qui m'a inspirée. Vermeil comme la robe d'un vin précieux. Vermeil comme les lèvres après un baiser. Ce mot résonnait tels les voeux d'un conte de fées. Vermeil comme le sang de la Reine brodeuse qui vient de se piquer avec son aiguille. Assise au bord de la fenêtre enchantée, elle s'émerveille de la couleur du sang qui perle au bout de son doigt. Quand elle ouvre la fenêtre et se penche, une goutte tombe sur la neige. Elle souhaite que l'enfant qu'elle attend ait les lèvres ausi vermeilles que cette goutte de sang sur la neige
Pour moi à qui il suffit d'ourir une fenêtre pour croire que je voyage, la carte VermeiI , c'était la promesse d'évasions inespérées. Même si je ne devais pas quitter la chambre où j'écris. J'ai toujours su voyager dans ma tête.
Des réductions à moitié prix. mais prendre le train pour aller où? Aileurs en tout cas.
Vers l'océan
toujours. Soif d'embruns et de l'odeur d'un petit port. Envie d'un repas d'huîtres et d'un vin blanc très sec au comptoir d'un bar. Envie d'avaler des tonnes d'oursins. De sucer des algues.
D'avoir la peau et les cheveux poissés de sel. Envie de marcher sur le jetée dans l'odeur des cordages mouillés, d'entendre le moteur sourd et rythmé des caboteurs rentrant de la pêcheEnvie de mordre dans le ventre des poissons crus qui glissent et scintillent sur le pont des bateaux de
pêche. Envie sauvage de tout ce que je n'ai plus. Farouche envie d'être aimée dans une chambre modeste dont le lit tanguerait comme un bateau. A défaut d'amour, ivre d'oubli et de désir. Du
dehors, on entendrait monter des voix fortes, disputes, chansons à boire, flonflons, cris de mouettes.
Et comme
toujours dans ces moments, on serait seul au monde.
En écrivant ces pages, je me souviens de ma petite Hermine, mon dernier enfant. Quand elle avait 5 ans et que nous nous trouvions dans un cimetière, elle allait toujours vers la tombe la plus abandonnée. Elle se penchait, essayant de regarder sous la pierre défoncée.
Elle disait: "Je veux voir si les morts rigolent "
MISERE DES AMOUREUSES
"Se taire, aimer, écrire, c'est un perpétuel triomphe en toute chose de l'adieu"
Pascal QUIGNARD
Vie secrète
(Gallimard 1998)
"Je reconnais que j'ai trop aimé. Donc, j'ai mal aimé. J'ai été une sentinelle de l'amour. Quelqu'un qui essaie de ne pas faillir, de ne pas trahir, de tenir parole. De tenir debout. Quelqu'un sur qui l'on peut compter à toute heure du jour et de la nuit.
Une sentinelle dont on oublie la rélève.
Tandis que j'écris cette dernière phrase, une présence légère vole autour de moi. Insidieusement, elle murmure que je n'irai plus aux bois, que les lauriers sont coupés...La belle que voilà les a tous ramassés...La belle que voilà, c'était moi, sans doute, et qui ne le savais pas. C'en furent d'autres, qui n'eurent pas ma chance, ma santé. Mon increvable résistance. Ele sont peut-être mortes aujourd'hui. Oui, pour certaines, elles le sont. Adieu, front lisse, yeux éblouis, bouche cerise, fesses rondes, seins hauts. Les lauriers sont coupés. Il me reste à ramasser le petit bois mort de la vie et à en faire un livre. J'ai toujours su allumer et entretenir un feu. Et je me sens encore la force d'écrire un livre.
Pourtant aujourd'hui, je ne suis plus dans le présent. je me sens comme rossée, tabassée par
une armée qui aurait tout dévasté sur son passage. Tout un village où l'on aurait mis le feu aux berceaux, aus maisons, aux jardins. Les berceaux qui brûlent. Je n'entends plus le babillement des
bébés. je n'entends plus couler le ruisseau. Je n'entends plus chanter les oiseaux.
Rescapée de ce carnage, je me terre dans les ruines de ma mémoire
Est-ce ainsi que toute vie s'achève?
Cette impression de n'avoir pas eu le temps.
Plaquée à un mur d'exécution
Tout à coup je me demande si ce métier ne m'aurait pas convenu: Marchande de sable. Il suffit de ramasser du sable et d'en remplir de grands sacs. C'est après que c'est difficile. Lourd à transporter. Alors pour s'alléger, il faut en répandre une poignée sur les yeux de chaque lecteur afin qu'il s'endorme sur une phrase. Qu'il n'aille pas trop vite. Que j'aie le temps de continuer. Le temps d'écrire d'autres pages
Mais le livre le plus lumineux, ne serait-ce pas celui dont on laisse les mots défiler sous nos paupières et qu'on n'écrira jamais?
Quelqu'un de malheureux m'écrit cette phrase de Nietzsche "Tout ce qui ne nous tue pas nous fait avancer
Je continue d'avancer dans ce troisième âge, comme dans une cour de récréation où se trouverait un mur d'éxécution. La mort peut vous surprendre n'importe où. N'importe quand. On est dos au mur.
J e ne sais pas ce que j'attends.
Par pudeur, par lâcheté, je dirais que je n'attends RIEN.
LES MOTS
COMME UN PEU D'OR
AU FOND D'UNE CHAMBRE
"Seul le mélancolique porte avec lui la joie arbitraire et foudroyante"
Pascal QUIGNARD
Sur le Jadis
Le dernier Royaume II
(Grasset 2002)
Le premier mot que j'ai entendu le jour de mon anniversaire, c'est aub e. En ouvrant le dictionnaire, j'ai su que l'aube précède de peu l'aurore. De l'aube, on dit aussi, crépuscule du matin. Et le mot crépuscule associé au mot matin m'a comblée de joie. Un court instant, j'ai été plongée dans le ravissement d'une aube pareille à celle de mon enfance, que je connaissais parfois
On se réveille et c'est tous les chants de la terre qu'on entend et qui vous appellent. On croit qu'on est aimé du ciel. De la nature, du vent. Des arbres. Des bêtes. Des herbes. On est baigné d'ocre et de rose. Rien de malheureux ne peur arriver. Cela suffit à faire durer l'enchantement.
Dans cette chambre, je me suis souvenue de mes accouchements. J'y allais toujours le coeur vaillant. Pleine de courage. La première fois je chantais. La première fois j'avais vingt ans. J'avais entendu dire que la mère d'Henri IV avait chanté avant de mettre son fils au monde.
A l'époque de cette première naissance, j'avais choisi de partager la vie d'un artiste peintre totalement démuni que je prenais pour Van Gogh. Nous n'avions rien que notre peau et notre santé. J'étais ce qu'on appelle aujourd'hui S.D.F. Longtemps, je n'ai pas eu de sécurité soiale. Je n'avais consulté qu'une seule fois durant cette grossesse. A l'époque , et c'est comme si je parlais du Moyen-Age, il y avait l'opprobre sur celles qu'on appelait les filles-mères. Il m'était arrivé de me faire jeter dehors par des médecins moralistes, plus tard ce sera par des directrices d'école primaire. En ce temps-là, il n'y avait aucune aide. Rien. Si j'avais eu la tentation de frapper à certaines portes, je savais que, dans ma situation, on me retirerait l'enfant. Contre l'ennemi, j'avais développé une incroyable résistance et la société entière était mon ennemie. J'étais inusable. Jamais faim, Jamais froid. Jamais mal. Jamais une plainte
Sur les routes, il y avait des racines bonnes à manger, des épis de maïs durcis par le gel. il y avait surtout cet enfant à protéger. Et je crois que les joies de la amternité, ce qu'on appelle ainsi, je les ai connues dans un tel dénuement que la moindre babiole qu'on pouvait m'offrir, la moindre orange, c'était comme les offrandes d'un roi mage. Elles me plongeaient la tête dans le ciel.
Dans cette chambre, j'ai beaucoup pensé à la trahison. Je l'ai toujours trouvée sur ma route. J'ai toujours eu affaire à des êtres qui finissent par trahir. Le pis, c'est leur regard dans ces moments-là. On sait qu'ils vont vous mentir. Vous trahir. On en a les preuves. leur regard dit le contraire. On ne pourra plus les aimer. On ne pourra plus les respecter.
Au soir de ma cavale, je me suis rendue dans le dernier restaurant ouvert. Une pizzeria. Il y avait là un Chinois qui lisait et annotait une partition de musique. On était tout près du théâtre. J'ai imaginé, je ne sais pourquoi, qu'il était chef d'orchestre...
En retournant dans ma chambre d'hôtel, je savais qu'au matin, lorsque je l'aurais quittée, j'en ressortirai profondément changée.Il y a des êtres qui se retirent dans des monastères, d'autres larguent les amarres. C'est toujours dans une chambre sordide et anonyme où je m'oblige à séjourner, que je suis arrivée à comprendre les raisons d'un chagrin. C'est toujours dans un tel lieu que je subis une métamorphose et que je peux repartir. De moins en moins légère. Mais je repars vers ce qu'on appelle la vie.
IL ya quelques chambres de la sorte dans ma mémoire. Elles restent des lieux de salut. Je m'y suis rendue pour m'y enfermer, comme on irait de sa propre volonté en prison. Elles furent des lieux initiatiques. Mon chagrin y était si concentré que j'avais une boule de feu dans le ventre.
La première de ces chambres se trouvait à Paris, dans le quartier de la Bastille. Pour moi, la vie était impitoyable. On venait de me séparer de mes enfants, pour le simple délit que je ne pouvais plus les nourrir. On les avait emmenés loin. Jusqu'à ce que j'aie un travail correctement rémunéré, avait-on ajouté. J'étais folle de douleur. Quelqu'un que je connaissais à peine m'a dit : "J'ai une chambre affreuse à la Bastille; Sans eau, sans éléectricité. Mais si ça peur vous dépanner..."
C'est dans cette chambre que je me suis mise à écrire pour la première fois. C'est ici que j'ai commencé mon premier livre. Au fond c'est toujours de cette chambre que j'écris. Elle est comme une caverne dans ma mémoire. Un lieu de douleur et de recueillement où je retourne souvent par la pensée. D'une certaine façon, j'y suis encore. J'y serai toujours. Les lieux où l'on a laissé une part de son âme et subi une métamorphose, on y séjourne jusqu'à la mort.
Avant de quitter la maison, dans un mouvement panique, j'avais emporté Vie secrète de Pascal Quignard. J'aime l'aspect fragmenté du texte. Je sens qu'il va m'apprivoiser à la lecture. J'ouvre le livre au hasard. J'espère y trouver une réponse. Un bonheur, une consolation. Un écho. Et je lis:
"L'amour est un don sans pitié parce que rien ne console de sa perte. L'amour est lié au perdu: c'est pourquoi toute perte le vérifie
C'est la plus intense des douleurs.."
Le miracle a lieu. Je trouve une réponse à mon chagrin. Mais surtout je trouve un écho. Voilà ce qu'est un livre. Quelqu'un vous parle qui ne saura jamais à quel point on est soi-même conforté par l'élan qui lui a inspiré la splendeur de cette phrase
AU BORD DES FENÊTRES
"Quand les amoureux quittent
leurs corps nocturnes, l'un se pose
sur une branche au loin,
l'autre s'accoude à la
fenêtre.
L'amour c'est âme, contre âme"
Pascal QUIGNARD
Vie secrète
(Gallimard, 1998)
J'ai toujours aimé les fenêtres.
Je me serai souvent tenue derrière les fenêtres.
La plupart du temps, c'était pour guetter le retour
de quelqu'un que j'aimais
J'aurai attendu jusqu'à la nausée. Jusqu'à la disssolution de tout mon être. Un état où l'on n'a plus ni âme, ni corps. Une sensation de flottement, presque de lévitation. Et pourtant le chagrin est là, atroce, mordant. A cause de cette attitude de dépendance, qui est d'attendre et qui n'a appremment rien à voir avec une action? C'en est une cependant. Terrible. On y fait l'expérience d'un arrêt du temps. D'un arrêt du coeur. D'une certaine mort. Le coeur est en attente, ses battements suspendus. Tout en soi est ralenti. C'est une expérience de l'extrême que d'attendre et d'espérer un improbable retour.
Gorgée d'amour et de sperme, elle court ouvrir la fenêtre sur la prairie. Joie sans nom de l'amour partagé. Rien ne la tue. Rien ne creuse sous elle une trappe sans fond.
Si c'est l'hiver, la neige illumine le silence
Et ce silence étourdit même les oiseaux.
Si c'est la nuit, elle dérive avec de grandes constellations. Si c'est encore la nuit, elle pense que le cri des oiseaux nocturnes est un chant d'amour.
Dès la naissance du jour, elle est à la fénêtre, elle reconnait le poids de ce bonheur quand il vient la rejoindre et se presse contre ses reins. Elle a tout. Cet homme. Un enfant. La neige. Le sielnce. La nuit. Et aujourd'hui le printemps. Encore un printemps. Pas de guerre. Pas de trahison? Pas de drame, pas de larmes
Soudain elle est dans le ravisement de l'amour
Dans la confiance éperdue.
Elle est dans le vol merveilleux des libellules. Sur leurs ailes éphémères qui ne se heurtent plus au
temps.
Elle est dans le pollen des mimosas
Elle est dans la source.
Elle est dans l'amour absolu.
Plus je vais, plus je sais que l'amour, toutes les amours sont vouées à la séparation. L'arrachement. Dès l'enfance j'ai su que les mots de la consolation si justes, si doux à entendre, n'étaient employés que pour tenter d'anesthésier une plaie vive qui ne guérirait jamais. Les mots de la consolation, je l'ai toujours pressenti, n'avaient d'autre but que d'endormir ma vigilance. J'ai toujours su que l'amour était voué au perdu. Le plus douloureux, c'est d'assister à sa métamorphose, et quand tout est fini de le voir réduit à rien. Un vague sentiment d'affection. Le plus douloureux c'est d'entendre le déni de la bouche même de l'être responsble de sa faillite, artisan de son pourrissement. Alors le souvenir de cet amour en devient encore plus désespérant. Pour échapper à cette souffrance, on obstrue sa mémoire. Peut-être que rien n'a existé, qu'on a tout inventé. On se persuade que cet amour, en effet, c'était rien, pas grand-chose, puisqu'il n'a pas résisté. Dans le charnier de nos souvenirs, il apparaît soudain d'une écoeurante fadeur. On se demande comment on a pu y tomber vif et s'y débattre corps et âme. Et tant lutter pour qu'il dure. C'est tout ce qu'on a trouvé pour tempérer cet immense chagrin. Rien que le souvenir de notre foi nous donne la nausée. C'est surtout cette foi en l'amour qui est à jamais anéantie. On finit par trouver plus de réconfort et de fraternité dans les derniers rayons du soleil réchauffant la pierre où l'on est assis. Probablement que cette façon de vivre, de ressentir, n'était pas la bonne. Elle aura donné une usante intensité à chaque heure de ma vie
UNE PARENTHESE ALLEMANDE
Avant de terminer ce livre, il me faut lever le voile sur ce qui est encore un secret de famille. Je le fais aussi pour mes enfants et petits enfants.
Longtemps on a tenu secrètes mes origines. C'est à cause d'une indiscrétion que j'ai appris que mon père n'était pas mon père. J'avais douze ans.
Alors que j'avais quinze ans, ma mère souhaita me parler. Elle me dit qu'elle avait appris qu'on m'avait mise au courant pour mon père. Je sentais son embarras et combien il lui était difficile d'aborder ce sujet. J'avais le coeur serré our elle. Elle me tendit une carte de visite sur laquelle était gravé un nom étranger qui me sembla rempli de mystère:
... JOACHIM VON TRESCKOW...
C'est le nom de mon père, me dit-elle. Elle ajouta qu'il était allemand, marié et père de famille.
J'ai cherché à en savoir d'avantage. J'ai suivi des pistes. Mais il n'yavait que du silence. Une chape de silence
Durant mon adolescence et bien après, je me suis souvent demandé qui était mon père. Puisqu'il était allemand et que je suis née pendant la guerre, était-ce un Nazi? Etais-je le fille d'un Nazi? Maintes fois je me suis posé la question. Que faisait cet homme pendant la guerre? Ou ma mère l'avait-elle rencontré? Je ne lui en voulais pas de son silence. Je sentais une telle souffrance, une telle humiliation derrière ces non-dits. Je savais comment, durant l'épuration, on avait traité les femmes françaises ayant eu une liaison avec un Allemand. J'avais entendu ce qu'on disait d'elles et de leur bâtard de boche. Puis ma mère mourut avec son secret.
(Note de Christian Vancau: Joachim von Tresckow, père de Françoise Lefèvre était attaché au 18e Armeekorps de la Luftwaffe, Feld Division en tant que Generalleutnant, de décembre 1942 à octobre 1944 et a occupé la Belgique en septembre et octobre 1944. IL était le cousin du Général Henning von Tresckow, auteur de plusieurs attentats contre Hitler. Il serait décédé en 1985..)
Fin de années 80, Françoise a été mise en contact avec une demi-soeur qui avait émigré à Stockolm :
"Elle était mon aînée de cinq ans. Dans ses lettres elle m'appelait "Ma chère soeur française. Elle m'envoya de nombreuses photos qu'elle fit reproduire. Je
découvris enfin les visages des membres de cette famille dont j'étais issue. je ne me trouvais de ressemblance frappante, ni avec ma soeur, ni avec mon père. Le bleu des yeux peut-être. Sur ces
photos, les grands-parents étaient extrêmement impressionnants dans leur maintien. Tous sanglés dans un uniforme militaire. Le col rigide remonté jusqu'au menton. A cheval. Se tenant extrêmement
droits. Une allure noble et fière. J'appris que les von Tresckow était une très ancienne famille de l'aristocaratie prussienne. Originaire de Poméranie.
En regardant les photos de mes aïeux, je constate que je ressemble surtout à mon grand-père et à mon arrière-grand-père. C'est
frappant. Je sais maintenant d'où je tiens mon front qui est très grand, la couleur de mes yeux. Et même le regard. Je retrouve ces caractères chez certains de mes enfants. De mon père, je ne
saurai plus rien. Pas même pourquoi il fut fait prisonnier à Paris entre 1945 et 1947.....Cependant, je dois avouer que mon père, dont je sais toujours peu de choses, m'importe moins que l'homme
dont je vais parler dans les pages qui suivent et qui était son cousin
Je percevais une part d'ombre dans cette famille. Des faits qu'on n'avait pas envie de révéler. A demi-mot , je compris qu'il y avait eu des morts violentes. Des tortures. Des hommes contraints au suicide. Des tragédies. C'était lourd comme un secret d'Etat. Sous le voile, une tragédie.
Le Général HENNING von TRESCKOW
Au fil des ans je découvre la résistance allemande contre Hitler. J 'apprends que le général Henning von Tresckow, cousin de mon père, fut un des plus grands esprits
de la résistance allemande, un des hommes les plus actifs de l'opposition contre Hitler
En compagnie de quelques officiers dissidents au coeur du système nazi, il prépare et exécute un grand nombre d'attentats, qui malheureusement échoueront ou seront déjoués au dernier moment. Je pense à celui de mars 1943. Henning von Tresckow, chef d'état-major de l'armée du centre et de l'est, invite Hitler à de nombreuses reprises à inspecter ses troupes. Ce dernier accepte chaque fois mais comme à son habitude se décommande au dernier moment. Le jour où il se rend enfin à Smolensk, sur le front russe, c'est avec d'infinies précautions. Cependant, von Tresckow réussit à introduire dans l'avion qui ramène Hitler en Prusse Orientale, une bombe dissimulée dans une bouteille de cognac. Hélas, malgré bien des essais concluants pralables, le système de mise à feu, cette fois-ci ne fonctionnera pas
Mais l'attentat que l'histoire retiendra est celui du 20 juillet 1944, que prépara le général von Tresckow et qu'exécuta le colonel von Stauffenberg, pour lequel j'ai une immense admiration. S'il avait réussi, ce complot aurait changé la face de l'Histoire
Le but de l'attentat était de donner lieu au déclenchement de l'opération Walkyrie, destiné à renverser le pouvoir à Berlin, seule alternative politique pour obtenir l'arrêt de la guerre, la fin de la "course à l'abîme". C'est von Treskow, le complice le plus proche de Stauffenberg, qui a dessiné cette logique.
Les conspirateurs ne voulaient exécuter l'attentat contre Hitler, qui devait avoir lieu à une conférence sur la situation militaire au quartier général de la Wolfsschanze, que s'il permettait de supprimer en même temps Himmler et Goering
Le 29 juillet 1944 à 12h50, la bombe explose dans le quartier général du Führer en Prusse Orientale. Il y a des morts et des blessés. Hitler aurait dû mourir, mais il s'en tire avec quelques égratignures. Malgré tout, entouré d'une poignée d'officiers insurgés, Claus vion Stauffenberg, qui vient d'exécuter l'attentat, lance l'opération Walkyrie destinée à renverser le pouvoir à Berlin...
L'admirable, le magnifique Claus von Stauffenberg, qui tenta l'impossible pour activer la plan Walkyrie, fut exécuté le soir même où il commit l'attentat. Avec
d'autres conjurés, il fut fusillé dans la cour de la Blenderstrasse à Berlin
TOMBEAU de HENNING VON TRESCKOW (1901-1944)
Les dernières paroles de Henning von Tresckow avant qu'il ne se suicide furent recueillies par son ami Fabian Schlabrendorff.
" Désormais le monde entier va se jeter sur nous et nous traîner dans la boue. Mais après comme avant, je reste convaincu dur comme fer que nous avons eu raison d'agir ainsi. Je tiens Hitler non seulement pour l'ennemi mortel de l'Allemagne, mais pour l'ennemi juré du monde entier. Quand, dans quelques heures, je comparaîtrai devant le tribunal de Dieu pour rendre compte de mes actes, je crois que, la conscience tranquille, je pourrai défendre ce que j'ai fait dans le combat contre Hitler. Si Dieu promit autrefois à Abraham qu'il ne détruirait pas Sodome s'il s'y trouvait seulement dix justes, j'espère que, grâce à notre action, Dieu ne détruira pas l'Allemagne. Aucun d'entre nous n'aura le droit de se plaindre de la mort qui l'attend. Celui qui est entré dans notre Cercle a revêtu la tunique de Nessus. La valeur morale d'un homme n'existe que s'il est prêt à mourir pour ses convictions."
Le 21 juillet au matin, le général von Tresckow, qui a vu s'écrouler en une nuit l'oeuvre à laquelle il s'est voué corps et âme, se rend vers le poste de commandement de la 8e divison des chasseurs. Il s'avance vers le No man's land, au milieu des lignes ennemies. Afin de préserver sa famille des représailles, il veut faire croire qu'il est tombé dans une embuscade. Il tire quelques coups de feu pour simuler une attaque de partisans russes dont la région est infestée. Puis il saisit une grenade, la dégoupille et l'appuie contre sa poitrine. Il est en partie décapité, le visage araché
On croit d'abord qu'il est réellement tombé dans une embuscade et Fabian von Schlabrendorff, son ami de toujours, est chargé de ramener son corps en Allemagne. Mais la paticipation de Henning von Tresckow au complot est rapidement établie
Hitler fera exhumer son corps du cimetère brandebourgeois où il reposait auprès de ses parents et le ramènera à Berlin où on l'exhibera sous les yeux de ses anciens collaborateurs, ses amis, qui, jusque là, avaient refusé d'avouer quoique ce fût, afin de les impressionner par un spectacle ausi effroyable qu'inattendu
Puis toujours sur ordre de la "commission spéciale du 20 juillet", son cadavre sera incinéré et ses cendres répandues dans une décharge
En découvrant le visage de Henning von Tresckow, je dois me renfre à l'évidence. Je lui ressemble bien davantage qu'à mon père. Au fil de mes lectures, j'apprends qu'il écrivait. A ma connaissance c'est le seul membre de ma famille qui écrivait...
Le destin magnifique et tragique de Henning von Tresckow me hante et me bouleverse. Ce sang, coule aussi dans mes veines. Je comprends mieux pourquoi je me suis toujours sentie dans la résistance. Comme si j'étais "programmée" pour résister à tout. Presque tout. S'éclaire aussi d'un jour particulier le mot sentinelle, que j'emploie souvent dans mes livres. maintes fois je me suis demandé pourquoi il y avait dans mes textes, des chemins de rondes, des oubliettes, des monstres, des enfants à sauver. Un repos impossible à trouver. Pourquoi j'avançais avec une épée, une insoupçonnable armure, infatigable, toujours prête à terrasser mon adversaire. Pourquoi je me suis toujours comportée comme une sentinelle qui a mission de veiller sur ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre.
Il m'apparaît que jai eu trois noms. Les premiers dix-huit mois de mon existence, jai porté le nom de ma mère: Jourde. Puis j'ai été reconnue par mon père adoptif dont je porte le nom, c'est celui dont je signe mes livres. Enfin, je ne porterai jamais le nom de von Tresckow, mais il est inscrit dans mes gènes. Il me permet de comprendre mon goût pour la résistance, qui a mené toute ma vie. Ma haine pour le mensonge et la trahison. Mon besoin d'ombre et de clandestinité
LA TUNIQUE DE NESSUS
( Note de christian vancau: C'est Ovide qui relate les faits suivants. Le Centaure Nessus propose à Héraclès d'aider son épouse Déjanire à traverser un fleuve tumultueux. Mais arrivé de l'autre côté du fleuve, Nessus veut violer Déjanire. Héraclès alors bande son arc et envoie vers Nessus une flèche empoisonnée du venin de l'Hydre de Lerne. Nessus blessé à mort donne sa tunique transpercée à Déjanire pour qu'elle retrouve la confiance de son mari et celle-ci la donnera à son tour à Héraclès, amoureux de Iole, sa rivale, afin qu'il lui reste fidèle. Héraclès est brûlé par cette tunique qu'il enfile, veut l'enlever mais s'arrache la peau en même temps et fou de douleur dresse un bûcher sur le Mont Oeta et s'y incinère. Déjanire comprenant son erreur, se suicide.
L'expression Tunique de Nessus est devenue par la suite synonyme de "Cadeau empoisonné" ...)
Après avoir eu connaissance de ces atrocités, j'éprouve le besoin de marcher pieds nus dans un gave tumultueux qui me laverait de toute cette mémoire. J'éprouve le besoin de laver un linge symbolique. Draps, chemises, langes et linceuls. Et surtout la Tunique de Nessus. Il y a dans l'action de laver du linge une dimension sacrée.
Tout laver avant de reprendre force entre ciel et torrent, avant de repartir vers la poussière d'un livre.
On lave la poussière des routes. On lave la sueur qu'il nous a fallu transpirer pour atteindre des sommets, remonter des abîmes.
On lave la sueur qu'il a fallu pour écrire ces pages tout au long de la canicule, l'été 2003.
On lave les larmes invisibles des chagrins jamais dits. Des secrètes humiliations.
On lave les lâchetés, les trahisons.
On lave le sang des accouchées. Les linges souillés des bébés. La sueur des agonisants. Et surtout, la tunique de Nessus.
On lave, on rince, on s'immerge dans l'eau d'un gave bondissant. On ressent une joie sans nom. Celle de retourner dans le premier matin du monde. Draps, chemises, sous-vêtements, langes et linceuls. Toutes pièces se confondent. Il y a quelque chose de sacré, de l'ordre d'un baptême à chaque fois qu'on lave le linge qui a été porté; A chaque fois qu'a lieu ce miracle de l'eau vive et jaillissante.
On a des pensées qui aident à la résurrection....
Terminé et publié ce 27 avril 2011.
Christian Vancau.
En dédicace ce 16 mars 2010
"Pour Christian,
j'ai voulu ce livre, comme un conte
ces contes qui m'ont hantée"
ALMA ou LA CHUTE des FEUILLES (16e ouvrage de Françoise)
- 2002
Une grand-mère suédoise
La longue sieste de Madame Neige
Est-ce de ma grand-mère suédoise, Hermine B., que je tiens le début de ce conte?
C'est l'après-midi d'une fin de printemps que Madame Neige décida d'en finir avec ce chagrin qui dévorait sa vie, rongeait son corps et son esprit. Un chagrin d'amour si noir et profond qu'il lui brisait les os, avalait ses forces vives. Elle pouvait à peine se tenir debout. La désolation était en train de la tuer
Une Sibérie de l'âme
Elle savait que cette désaffection naissante pour les arbres, pour les êtres, la parole échangée, cette insidieuse anesthésie de tout son être, était le signe d'un certain détachement. L'éloignement de la vie chaude, exaltée, émerveillée, celle où l'on rit de bonheur sous un cerisier en fleurs. Ou l'on titube de joie, simplement en regardant le ciel.
Elle sentait qu'elle abordait un long exil en elle-même, déportée vers un pays glacé, une sorte de Sibérie de l'âme
Tout son être commençait à geler...
Il neige des fleurs de cerisiers
Elle sentait qu'elle perdait ses forces vives, se mettait à trébucher, à trembler comme si un invisible prédateur buvait son sang
L'après-midi d'une fin de printemps, elle décida de mettre un terme à cette souffrance. Elle ferma les volets de sa chambre, tira les doubles rideaux, s'allongea sur son lit. Elle s'endormit pour ne se réveiller qu'au bout de vingt-cinq ans. On peut dire qu'il s'est agi d'une très longue sieste.
C'est alors que la neige se mit à tomber. Mais on pense que c'était plutôt une de ces neiges
de pétales de fleurs blanches. Sans doute des fleurs de cerisiers. Une véritable bourrasque en souleva des nuées qui tourbillonnèrent comme des flocons et recouvrirent tout le
paysage
Photos de Christian Vancau
Ce sont les mots qui ont manqué
Même le chant du coq les matins d'avril, le ciel bleu sur le toit de sa maison, le roucoulement des tourterelles, même le bruit du vent dans les blés, celui du passage au loin des trains, rien ne pouvait sortir Madame Neige de son sommeil. D'ailleurs personne ne s'apercevait qu'elle dormait. Elle avait trouvé un moyen très subtil d'être au monde. Elle souriait vaguement presqu'en toute circonstance, acquiesçait d'un léger mouvement de tête à ce qu'on disait, accomplissait du mieux qu'elle pouvait les tâches quotidiennes. Cela lui permettait de glisser de jour en jour. De porte en porte. De rue en rue, de gare en port, sans qu'on remarquât sa présence, non plus que son absence. Elle retournait dans les jours heureux de sa vie, dans les jours sombres aussi, cherchant à savoir ce qui lui avait tant manqué. Elle comprit que c'étaient les mots
Les mots d'amour.
Alma. Le prénom restitué
Dans ce sommeil où elle se trouvait, il n'y avait plus de frontières entre vivants et morts. Les disparus avaient une âme errante qui parfois s'attardait auprès de la sienne. On venait lui parler. L'exhorter..
D'entre ces chuchotements d'outre-tombe, elle discerna la voix d'un poète qui l'avait follement aimée et qui était mort depuis près de trente ans. Il prononça un nom qui n'était pas le sien et que pourtant elle reconnut: Alma !
Il flottait au-dessus d'elle et ne cessait de dire son nom, d'une voix lente et basse. Son nom à elle, volé, massacré, bafoué, couvert de crachats, il le lui rapportait comme un joyau sauvé des décombres. Il lui restituait ce nom qui fût le sien dans une autre vie.
Il l'appelait, l'exhortait, répétait son prénom avec force pour la réveiller, la sortir de cet engourdissement, ce froid de mort où chaque jour elle s'enfonçait davantage: Alma...Alma...Alma...Alma...
Dans son sommeil désolé, elle se souvint que ce prénom avait été le sien. Elle comprit qu'elle l'avait perdu pour l'avoir donné en gage. Un gage d'amour. C'était par la voix de cet homme qu'il lui était redonné.
Lentement, elle partirait à la reconquête de ce prénom dont on l'avait dépossédée : Alma
Cependant, je continuerai à l'appeler Madame Neige, tant qu'elle n'aura pas achevé sa
métamorphose. Ensuite, j'écrirai son prénom qui est aussi le mien : Alma. Il y a si longtemps qu'on ne m'a appelée
ainsi
Le voyage très risqué d'une âme
Comment expliquer ce rêve profondément érotique. Un ami mort depuis plus de vingt-cinq ans, amoureux ardent, auquel je n'avais accordé qu'un baiser sur la joue, m'a rendu visite cette nuit. Je ne l'ai pas reconnu tout de suite. J'ai d'abord été prise dans l'ouragan d'un plaisir violent sans savoir d'où il venait. Qui me le donnait. J'étais pénétrée, transpercée, sans qu'il y ait matérialisation de l'objet de mon plaisir. Ma jouissance était infinie.
J'ai reconnu la voix de cet homme ou plutôt ce souffle un peu rauque, murmurant, m'exhortant: Alma ! J'ai senti la volonté d'un amant impérieux, qui ne vous lâche pas dans le plaisir. J'en ai été troublée et bouleversée, car c'était le don d'un homme qui m'aimait infiniment. C'était comme une voix d'outre-tombe, une sorte de murmure venant d'un être ou d'une âme qui, après avoir accompli un voyage au-delà de ses forces pour vous rejoindre, ne veut pas desserrer son emprise. Un être qui aurait déchiré le temps pour venir me conforter, m'accompagner, m'entourer dans ma vie humaine.
" Aujourd'hui...ton âme est devenue trop sombre...Ta mélancolie enchaîne ton corps...Je suis venu te dire : sors de ton sommeil, Alma ! Vis ! Ecris ! Tu sais bien que les mots peuvent redonner vie...Tu sais la mort c'est bien vite arrivé. Souviens-toi de moi..
Souviens-toi que j'aimais les myosotis"
Compagnie des vivants et des morts
Fraternité des ombres
ANDERSEN
"Je n'avais pas deux ans quand ma grand-mère suédoise mourut, me laissant un livre des Contes d'Andersen. Depuis je suis toujours dedans. Le livre, aujourd'hui égaré, était un fort volume à la couverture bleu sombre, doré sur tranche, extrêmement luxueux, magnifiquement relié et illustré
Je suis entrée dans ces images, m'y attardant plus que de raison, comme dans une demeure enchantée, un parc ensorcelé dont on ne trouve plus la sortie. J'y erre toujours, captive de la plupart de ces contes. Depuis l'enfance l'intuition que je vivrai certains d'entre eux ne m'a jamais quittée..
...mais je sais que ma grand-mère a prononcé des paroles d'amour pour m'accompagner tout au long de mon existence. Des mots qui fortifient. Des mots dont j'ai grand besoin aujourd'hui. Les défunts auraient-ils une âme qu'ils prêteraient parfois aux vivants pour les soutenir dans leurs épreuves? Je crois que oui.
...Quelqu'un m'a confié que ma grand-mère aurait affirmé que je deviendrais écrivain, un jour. J'ai attendu l'âge de trente ans pour oser écrire mes premiers mots...
Est-ce à cause de mes origines suédoises et prussiennes qu'il y a tant de neige dans mes livres? De la neige des rennes, des traîneaux, des grelots; des trolls, l'envol d'oies sauvages sur les lacs gelés,
des sapins givrés, des enfants qu'il faut sauver d'un carnage, l'amour fou dans des chaumières où brûle un feu qui ne s'éteindra jamais. Et par-dessus tout, brille L'Etoile Polaire, seule étoile fixe du firmament. Elle scintille moins que les autres mais elle indique toujours le
nord
Toute la
nuit elle est réveillée par une voix intérieure, plutôt une pensée, le cheminement d'une pensée. Elle est égarée dans ce conte d'Andersen. Celui de La Reine des Neiges, qu'elle n'a jamais lu. Mais sa grand-mère suédoise le lui a probablement raconté. Elle en connaît juste ce passage où
Kay et Gerda jouent ensemble. Et dans ce passage, c'est la poussière du miroir brisé qui l'obsède. Un petit éclat de ce miroir diabolique s'est fiché dans l'oeil de Kay. A partir de cet instant,
il voit toute la vie déformée.
Aujourd'hui c'est elle qui a reçu un éclat de miroir dans l'oeil. Et il ne s'agit pas d'une poussière de ce miroir mais de la lumière impressionnée sur la pellicule photo, qu'elle a trouvée dans la maison des bois
"J'ai été transformée en écume de mer avec La Petite Sirène pour avoir très imprudemment donné ma langue à couper en gage d'amour. Ma langue, je le comprends seulement, c'est ma voix. Et ma voix c'est mon écriture. Il s'agit d'un gage d'amour.. J'abandonne ma voix pour tenir une promesse. Donner la priorité à l'amour. Aux enfants. Aux urgences de la vie qui laminent toujours . Oui chaque fois que j'ai aimé, j'ai abandonné ma voix. Tant d'autres choses vous occupent et vous exaltent dans l'amour, qu'écrire apparaît comme un acte contre nature
Un sentiment d'abandon
Un autre récit m'interpelle, celui de La Petite Marchande d'allumettes. J'ai vécu la violence de cet abandon. Quand la vie frappe trop fort. Quand la chance vous quitte. Quand
ceux qu'on a aimés ne vous reconnaissent plus. Comme elle, je me suis retrouvée sur un trottoir de neige. Je n'ai pas eu sa malchance. Je ne suis pas morte de froid, mais éternellement je
garderai en mémoire la morsure du gel, ce sentiment d'abandon. Mais je garderai aussi l'espoir fou de ne jamais voir s'éteindre l'étincelle de la dernière allumette. Est-ce pour cette raison que j'ai été
attentive aux choses de l'amour, à entretenir ce feu de chaque jour qui ne souffre pas la médiocrité, les fautes d'attention? Aujourd'hui, il s'agit de reprendre ma vie, ramasser trois
morceaux de bois et m'obliger à faire un feu pour moi seule. M'obliger à ne pas mourir de froid
Ecrire
Cependant à chaque fois que je commence un livre, je risque une autre mort. Plus exactement, je dois faire le deuil de certaines espérances. Je dois accepter de perdre ma joie de vivre
La maison des bois
Il ya cette maison des bois qui je le sens va surgir au fil des pages. Cette maison des bois, lieu
d'amour, lieu d'un serment. Lieu secret qui n'appartient qu'à nous deux, disait-il. Maison des bois où les mots d'amour circulaient, où furent conçus nos enfants. Ils y firent leurs premiers pas,
hardis et chancelants. Les rires éclataient ainsi que les pleurs, aussi brusques que des orages. Une mousseline enveloppait le berceau, protégeant des mouches et des guêpes, le nouveau-né
adorable. Tout se taisait. Le bonheur est souvent silencieux. Juste le chuintement d'une bouilloire qui chantait à peine. Le fumet d'un plat dans une cuisinière à bois
La joie simple
Cette joie simple, ma joie simple, parfois me fait peur. Par la fenêtre ouverte, je regarde l'homme qui m'a demandé avec tant de force de partager sa vie, de lui donner des enfants. Je l'aime, je le trouve beau. Son regard surtout. Si pénétrant. Un regard qui ne peut mentir, qui ne peut trahir. Une voix si douce qui réconforte. Des intonations qui ne trichent pas. J'ai toujours envie de courir vers lui, le prendre dans mes bras, lècher le sel dans son cou. Surtout quand nous sommes dans la maison des bois où tout, absolument tout respire notre bonheur et la lutte pour le garder
Sous les jupes, la laitière
Avant la naissance des enfants, avant leur conception, plus d'une fois la vieille cuisine fut un
champ de bataille heureux pour l'amour fou. Tout se passait comme si les personnages d'un tableau, figés dans l'éternité d'un musée, retrouvaient enfin le pouvoir de s'animer. La Laitière de Vermeer laisse tomber sa cruche, ouvre son corsage. Elle est nue sous sa jupe, ce ne sera rien de la retrousser. Elle en a
relevé les pans qu'elle a passés sous les liens de son tablier. La cuisinière ronfle. Comme dans la chanson, la farine de froment vole dans la lumière où bourdonnent les guêpes attirées par
les abricots trop mûrs. Sur la table, elle a renversé la farine pour faire une pâte brisée. Elle s'apprête à casser un oeuf dans le puits qu'elle a formé. Son amant vient derrière elle, presse sa
verge dure comme le buis entre ses fesses nues. Il lui mord la nuque, lui murmure les mots crus de l'amour, la léche partout. Il lui dit ce qu'il veut lui faire. La baiser pendant qu'elle
pétrit la pâte. Il lui demande de ne pas interrompre son ouvrage. Du bout des doigts, elle malaxe le beurre amolli dans le puits de farine. Elle y casse l'oeuf, verse un peu de lait. Elle fait
semblant de continuer à pétrir. Mais sous les coups répétés de la verge qui glisse entre ses reins, elle a fléchi les jambes et s'est arc-boutée contre la table. C'est ainsi qu'elle veut
être prise. Elle se concentre sur ce qu'il lui fait, elle sait qu'elle traverse une des plus belles saisons de sa vie. Sous les assauts de son amant, la table tremble. Le lait tressaute et coule
en ruisselets. Les abricots et les oeufs roulent et s'écrasent sur les dalles. Elle se laisse tomber à genoux. Elle va lécher la chair des abricots éclatés. Avec ce qui reste d'oeufs cassés,
de beurre sur le sol, il la pétrit, la lubrifie et s'enfonce dans ses reins. C'est ce qu'elle voulait. Exactement. Le visage poissé par le jus des abricots, les joues et les genoux écorchés
par les dalles rugueuses, elle se sent devenir si vaste, qu'elle ne sait plus par quel orifice, il la prend. A l'instant où elle demande grâce, elle supplie aussi qu'il continue. Qu'il n'arrête
pas. Par- dessous ses cuisses elle a passé sa main enduite des mêmes substances et malaxe des bourses devenues dures comme le cuir. Il lui dit ce qu'il est en train de lui faire. Ce qu'elle lui
fait à son tour. Il lui demande de répéter ces mots-là. Il lui demande de répéter ces mots de l'amour à genoux sur les dalles, sous le plafond bas, la suspension qui tangue, les oeufs
qui roulent et se cassent. Elle dit et redit ces mots crus de l'amour qu'il lui demande de répéter. Elle enduit ses mains des blancs d'oeufs répandus et continue à le pétrir. Elle ne pense
qu'à la violence de leur plaisir. A jouir et le faire jouir
Une femme amoureuse
Ce que dit le tain sombre du miroir
"Parfois dans la maison des bois, cette maison d'un autre temps, elle l'entraînait dans la chambre, vieille chambre odorante, remplie de fleurs séchées, d'épis de lavande, de cailloux trouvés sur les chemins. Pour y accéder, il fallait sortir de la cuisine et monter par un escalier extérieur couvert de mousse. Là les attendaient un lit toujours défait, un grand miroir piqueté, une chaise bancale, un broc d'eau pour leurs ablutions. Un lit toujours défait, embrasé par la jouissance reçue et donnée, l'épuisement heureux des gestes après l'amour. Le prendre encore dans sa bouche. Comme il le veut. Comme il le lui demande. Boire jusqu'à la dernière goutte de sa semence. Par la fenêtre monte l'odeur des fleurs de sureau. Soudain, elle aperçoit leur reflet dans le tain sombre du miroir. Elle ne se reconnait pas...."
DES MOTS POUR NE PAS MOURIR
Une aide providentielle: Bachelard toujours
"Pour tenter de retrouver cette force qu'on m'a volée, sortir de ce chagrin, misérable chagrin d'amour, je cherche la protection des mots et des phrases qui ne trahissent pas. Non pas les mots de la mort, non pas les mots de la morale. Les mots de la peau. Les mots de l'amour, les mots de la joie. De la jouissance. Des mots qui parlent d'amour et de consolation. Ceux des poètes. J'ai besoin de me rappeler que j'ai aimé. Parfois j'entends des phrases chuchotées par une invisible présence. Phrases qui m'accompagnent quand je marche, quand je dors, quand je veille. L'une d'entre elles m'enchante mais me donne aussi l'envie de pleurer. Elle est de Gaston Bachelard :
".. la roulade du merle est un cristal qui tombe, une cascade qui meurt. Le merle ne chante pas pour le ciel. Il chante pour une eau prochaine..."
mais moi j'entendrai toujours : Il chante pour sa mort prochaine
L'espérance n'est pas forcément divine
L'incroyable chemin pour retrouver son propre coeur, avant d'atteindre celui des autres. Un coeur que s'est approprié le chagrin. Un autre mot me vient, qui ne m'a jamais quittée et semble en contradiction avec ce que je viens d'écrire, c'est le mot espérance. Ce mot, je le veux dépouillé de ses oripeaux religieux. Je veux une espérance crue et non chaste. Terrestre et non divine. Ce mot je le porte sans jamais l'égarer, les pieds fichés dans la boue. Que tout advienne ici et maintenant et non dans une éternité de mensonges
Une étoile très brillante scintille à ma fenêtre
Ce que j'appelle la Providence,
et qui m'a aidée à commencer ce livre, ce fut d'abord l'étoile, aperçue la nuit dernière par ma fenêtre. Une étoile qui s'est montrée
soudainement. Enorme. Scintillant de manière surnaturelle. Obstinément.Comme dans un conte d'hiver. Une nuit de Noël. J'ai tout de suite pensé qu'elle était là pour moi. Pas un instant je n'en ai
douté. Il m'a semble qu'on venait me secourir. Je suis brusquement retournée dans mon enfance. L'étoile venait me parler. Me prévenir de je ne sais quel danger. L'étoile était là pour me
protéger. M'accompagner. J'ai cru que moi aussi je pouvais lui parler. Elle semblait me dire : tu dois
entrer dans ton livre comme dans une forêt noire qu'il te faut traverser. Il faut que tu commences. Recommences. Il faut que tu attaques. Il faut que tu te serves de ton épée. Et enfourches un
bon cheval...
Aimantée par son scintillement surnaturel, je me suis levée pour aller à la fenêtre. Elle avait disparu. J'ai ouvert la fenêtre. Penchée dans le vide, j'ai tourné la tête en tous sens pour scruter le firmament à la recherche de mon étoile. Par cette nuit d'hiver, d'un froid pur et glacé, tout était gelé et le ciel constellé d'astres et d'étoiles brasillant à l'infini. Mais la mienne, mon étoile, qui brillait plus que toute autre, avait disparu...Je me demandais si elle n'était pas cachée par une branche d'arbre ou par cet énorme sapin, plus haut que la maison. Venait-elle d'être avalée par un trou noir ??? ..
NOIRCEUR DU CONTE.
"On ment pour protéger son plaisir ou son honneur si la divulgation du plaisr est contraire à l'honneur. On ment toute sa vie, même surtout, peut-être seulement, à ceux qui nous aiment. Ceux-là seuls en effet nous font craindre pour notre plaisir et désirer leur estime"
MARCEL PROUST
A la recherche du temps perdu
Recommandations d'un homme aimant
"Ma chérie , toi qui as empêché que je sombre, toi qui m'as fait retrouver la joie de vivre en me donnant ton amour sans réserve et des enfants que je chéris, il ne faut pas, non, il ne faut pas que durant mon absence, tu retournes à la maison des bois. Elle est trop isolée. Ce serait dangereux pour toi. Promets-moi de ne pas y aller. Et puis cette maison qui est notre secret à tous deux ne vit que lorsque nous y sommes ensemble. C'est ta présence qui l'illumine. Nous y retournerons à mon retour pour y célébrer nos vingt ans de mariage. Je veux encore t'y aimer. Laisse-moi le temps de bien la préparer pour t'y accueillir"
Tant de recommandations, tant de sollicitude, au lieu de la conforter, l'alerte brusquement, lui rappelant un certain passage du conte de Barbe-bleue. Serait-ce pour elle le dernier conte à traverser?
Partout elle cherche le trousseau de clés de la maison des bois. Elle finit par le découvrir dans un panier, caché sous de vieux journaux, tout au fond d'un cagibi...
Le jour fatal où elle retourne à la maison des bois , elle est seule. Il y a bien longtemps qu'ils n'y
sont pas revenus. Dans le jardin les ronces ont poussé. Le coeur battant, elle introduit l'énorme clé dans la serrure. Tout de suite, elle reconnaît l'odeur de la maison. Il y fait
sombre. Ses yeux mettent un certain temps à deviner le contour des meubles. Prudemment, elle marche les bras tendus jusqu'à la fenêtre. Elle pousse les volets. Un peu de lumière rentre.
D'un doigt, elle caresse la cuisinière à bois qui lui rappelle tant de souvenirs. Le tiroir déborde de cendres. Il lui semblait pourtant l'avoir vidé. Sous le tableau qu'elle a peint se trouve la baignoire en zinc où barbotaient ses enfants. Elle se rappelle qu'elle l'avait rangée dans la remise. Sur la table, elle remarque quelques miettes de pain et pense qu'en leur absence, les loirs ont pris leurs aises. Dans le coffre à bois au milieu de vieux journaux, elle découvre une boite en carton ayant contenu une tarte, provenant d'un célèbre traiteur parisien. Elle voit aussi l'emballage d'une bouteille de champagne à l'appellation prestigieuse. Son coeur se met à cogner follement?. Elle sent que ses jambes se dérobent. Elle ne sait à quoi se retenir. La maison entière lui paraît maudite. Comment a- t-elle pu s'y sentir heureuse?Comment a- t-elle pu croire à ce bonheur? Elle regarde encore une fois le tableau qu'elle a peint. Cette mère à l'enfant. Cette icône qui devait protéger leur maison. Elle se revoit faisant l'amour sur les dalles, les oeufs qui roulent de la table et se cassent, elle revoit ses mains pétrissant la pâte. Elle se rappelle l'audace de ses caresses, l'exigence de son plaisir. Elle revoit leur premier enfant se réveillant, chaud comme un pain rond. Elle le sort de son lit, l'apporte à son père pour qu'il le prenne contre lui et l'embrasse aussi. Elle se souvient des gestes de tendresse et d'amour qui ne cessaient d'enchanter leur vie. La confiance élève l'amour au sublime. Elle touche son corps. Elle a l'impression de ne plus l'habiter. Elle se demande si elle va oser monter dans la chambre. Ce qu'elle va y trouver. Quand elle ouvre, c'est le lit qu'elle voit d'abord. Mais tout est sombre. Elle pousse les volets. Les draps, ceux dans lesquels ils ont dormi la dernière fois ensemble, sont défaits, maculés de sperme et de sang. Au pied du lit, une chemise de nuit de femme, à l'ancienne, en coton blanc, tachée d'auréoles de foutre. La nausée. Il arrive que la douleur vous enfonce un tel poignard dans le coeur qu'on ne le sent plus. On suffoque. On perd le souffle. On sait qu'une part de soi vient d'être assassinée. La vie s'arrête là.
Elle a fait développer le rouleau de photos. Elle y voit une femme blonde et nue prenant un bain dans le tub en zinc qui servait à ses enfants. Elle tient une flûte de champagne qu' elle lève comme pour trinquer avec celui qui la photographie. La baignoire est placée juste sous le tableau qu'elle a peint
Sur une autre photo, on la voit nue, le tablier d'Alma ceint autour de reins. Elle est debout devant la table où Alma pétrissait la pâte. Et sur cette même table, il y a de la farine, des oeufs, des pommes. La femme brandit un rouleau à pâtisserie, qu'elle lèche ostensiblement comme s'il s'agissait du sexe de celui qui la prend en photo.
"Ô ma chérie miraculeuse
Mes cinq sens te photographient en couleurs
Et tu es là tout entière "
APOLLINAIRE, Ombre de mon amour
Cet hiver, la jacinthe que j'ai achetée n'a pas fleuri. Ni aucune autre après. Chaque matin la table était jonchée de fleurs rabougries, tristement rouillées. Les jacinthes s'étiolaient. Dépérissaient. Toutes finissaient par mourir. J'étais certaine que ces bulbes si vivaces se trouvaient monstrueusement à l'étroit dans leur pot en plastique. J'ai pensé au supplice infligé aux femmes de l'ancienne Chine. Afin d'empêcher leur croissance, de les réduire à des proportions minuscules,, on comprimait leurs pieds dans des bandelettes qu'on serrait de plus en plus. Atrocement déformées, atrophiées, leurs extrémités n'étaient plus que des moignons. A force d'être contraintes, à force de sevrage, les jacinthes de cette année subissaient le même sort. Moi aussi
Dans la cuisine, la jacinthe bleue violine attend le jour. Ce qui m'émerveille, c'est le contraste entre la vitre givrée où elle est restée
appuyée durant la nuit et la présence de son parfum. Cette senteur à la fois naïve et capiteuse qu'elle exhale me bouleverse, me rappelle à la vie. De toutes mes forces, je veux croire qu'il
y aura un autre printemps. Son parfum éveille en moi l'espérance d'un amour à venir. Le dernier. Mais encore un amour. Cette folie. Oui. Encore. Comme un Chant du
Cygne
Si je n'étais pas retournée à la maison des bois chercher la vérité, si je n'avais pas accepté que mes yeux soient blessés à jamais par ce que j'y ai découvert, j'aurais continué à perdre mes forces vives comme on perd son sang, sans que je comprenne d'où viennent ma détresse et cet affaiblissement.
Partir vraiment
Pour la première fois Noël sans eux.
Elle organise tout. Le sapin et les lumières qui scintilleront en son absence. Le dîner du réveillon. Les cadeaux sous le sapin. Le déjeûner de Noël. Tout est dans le réfrigérateur. Le couvert est mis. Les bougies prêtes à brûler. Partout, il y a du houx. Il y a du gui. Le feu dans la cheminée se consume doucement. On pourrait croire qu'il y a quelqu'un dans la maison. Quelqu'un d'aimant, qui attend. Mais elle n'est plus aimante. Plus de la manière dont elle a été. Et elle n'attendra plus.
Elle a préparé sa valise. Elle sait qu'elle ne reviendra pas de si longtemps. Elle a laissé un mot sur la table, écrit au feutre doré
"Joyeux Noël, mes chéris
Je pars. Juste pour respirer."
Dans son sac, chargeur et portable, un peu d'argent.
Une carte de crédit. Elle ne sait pas où elle va
Quel vin ? En compagnie de quel homme?
" Avant de m'endormir, je pensais que je préfèrerais boire un vin modeste, voire passable, avec un homme dont je serais amoureuse, avec lequel je ferais l'amour et ce sera une fête, que de goûter un vin somptueux avec un de ces esthètes qui tout au long du dîner commentera l'étiquette de la dite bouteille et dont je sais d'avance quel ennui ce sera au lit"
LE BEL AUJOURDHUI FINISSANT
Vingt-cinq ans plus tard, quand elle se réveilla, Madame Neige se demanda quelle heure il pouvait être. Sur sa table de chevet, le réveil était arrêté. Il lui sembla qu'elle avait fait une longue, très longue sieste. Elle alla à la fenêtre, poussa les volets mais ils résistaient. Les ronces les avaient scellés, s'infiltrant partout, rampant jusque dans sa chambre. Au travers d'une fente, elle regarda au dehors. La maison était cernée par une nature sauvage. Le ciel était bleu. On aurait dit l'été. Elle murmura en elle-même :
Ô le bel aujourd'hui
RETOUR A L'EMERVEILLEMENT
Baise m'encor, rebaise-moi et baise (Louise Labé, Sonnets, XVIII )
Elle voulait l'océan. Elle y est. Elle a rendez-vous tout au bout de la jetée de ce port de Bretagne. Ciré noir, souliers rouges, elle marche sous la pluie. Elle court vers son amant. Et c'est le corps entier d'un jeune-homme qui l'étreint, un corps dur,
ardent, impatient qui cherche le sien. Elle l'embrasse à pleine bouche. Elle avait oublié ce goût de sel et d'embruns. Elle passe ses mains sous son chandail, ouvre son corsage, elle veut sa
peau contre la sienne. En l'étreignant comme si elle pouvait s'enfuir, il lui dit:
Alma, j'avais si peur que tu ne viennes pas...
Dédicace:
"Pour Christian, j'ai voulu ce livre ALMA, comme un conte, les contes qui m'ont hantée. Seuls textes approchés. Je vous embrasse.
Françoise
16 Mars 2010
Françoise LEFEVRE à l'époque de JEANNE
En 2001, c'est la publication de L'OFFRANDE (15e
ouvrage)
Ci-dessus, un remarquable texte d'Isabelle Nouvel, qui a tout
compris...
D'emblée, dès la première page, une déclaration d'amour de Vivien. Il faut préciser que ce sont des lettres d'amour , relues par Jeanne, vingt ans plus tard... Le livre, en effet, se développe en deux parties principales.
Dans la première partie, nous sommes en 2000, Jeanne relit les lettres d'amour écrites par Vivien dès février 1979. On devine Jeanne, brisée par cet amour perdu.
La deuxième partie , "Le Calendrier des Trahisons" parle des années 1980-1981 et raconte la descente aux enfers de cet amour et les circonstances qui l'ont provoquée, au travers des lettres écrites par son compagnon, dont elle est enceinte, lettres envoyées à une autre femme, sa maîtresse, qui, comme lui, est correspondante de guerre et qu'il vient de retrouver à l'étranger, sur un terrain d'opérations miltaires. Elle s'appelle Eva et les lettres de passion que lui envoie Vivien s'entrecroisent avec celles qu'il écrit à Jeanne
(2 février 1979)
" Jeanne, n'avez-vous jamais été aimée pour ce que recèle votre voix, comme je vous aime? Sans
doute oui. Votre voix est un appel et une consolation pour celui qui n'ose même plus espérer. Il y a deux ans, j'ai perdu mon enfant dans un accident de voiture. Une petite fille, à peine âgée de
trois ans. Depuis, le chagrin s'est fiché dans ma poitrine comme une arme blanche. Je n'ai ni voix, ni repos. Je suis correspondant de guerre pour un grand quotidien. Pour oublier, je pars en
mission de plus en plus souvent.
Mais hier au soir, j'étais à Salzbourg, venu de Paris pour vous écouter. Perdu au milieu de vos deux mille adorateurs, comme eux, j'ai retenu mon souffle, quand vous vous êtes mise à chanter " Kindertoten lieder" de Gustave Mahler. Le Chant des enfants morts. . Quelque chose en moi s'est rompu. J'ai senti mes larmes couler Dans cette salle de concert, j'ai vu des paupières se fermer, les mêmes larmes couler. J'ai vu des mains se chercher et s'étreindre. Je n'en avais aucune à serrer dans la mienne. Mais votre voix me soutenait. Votre chant arrachait ce poignard que j'ai dans le coeur. Votre voix m'élevait, m'emportait loin de la douleur. Il me semblait que vous aviez pris ma petite fille par la main et qu'elle chantait avec vous ce "Chant des enfants morts". Soudain son âme et la mienne se rejoignaient, apaisées. Ô Jeanne, vous êtes si profonde. Vous chantez comme on voudrait aimer, comme on voudrait prier. Vous osez l'amour, le seul, celui qui ne serait rien sans compassion.
C'est la première fois que j'aime une femme que je n'ai fait qu'entrapercevoir. Jeanne refuserez-vous à un homme auquel vous venez de redonner l'espoir, de vous rencontrer? "
En 2000, Françoise
Lefèvre et les Editions du Rocher, publient "EN NOUS DES CHOSES TUES", pour une autre approche de l'écriture au collège(13e
ouvrage"
Où est notre première souffrance?
Elle est née dans les heures où nous
avons entassé en nous des choses tues
(Gaston Bachelard
L'Eau et les Rêves
Editions Corti )
En 1993, Françoise Lefèvre décide d'animer un atelier d'écriture dans un collège d'un quartier populaire de Dijon. Elle dispose de trois quarts d'heure par cours. Cette expérience va durer 3 ans, jusqu'en 1995. On peut donc dire qu'elle se situe notamment à l'époque de gestation de "Surtout ne me dessine pas un mouton" publié en 1995. La publication de cette expérience d'Ateliers d'écriture n'aura cependant lieu qu'en 2000
"On a à peine le temps de commencer d'être bien ensemble, d'avoir confiance que déjà l'horrible sonnerie retentit. Petite chaise électrique. Je vois dans leurs regards qu'ils n'ont pas envie de partir. Moi non plus. Ensemble on a frôlé des rêves. On a construit des phrases qui sont comme des maisons, des tentes d'indiens ou des cabanes de trappeurs. On s'est promené dans des souvenirs tristes ou heureux, on a secoué ses ailes pour essayer de voler, on a survolé des fleuves, on s'est caché dans des jardins remplis de hautes herbes. On a dormi dans des arbres. On s'est souvenu d'êtres disparus. On a osé parler d'amour. On a osé écrire noir sur blanc ce qu'on a sur le coeur. Sans se soucier des règles de grammaire ni de l'orthographe. Et voilà qu'à cause d'une sonnerie stridente, on doit se séparer..."
Mais les choses vont véritablement se déclencher le jour où Françoise va lire à son atelier une letrre rédigée par les élèves d'un autre collège, à savoir celui de Venissieux.
"Nous sommes les élèves
de quatre classes. Deux CM2 et deux classes de collège et c'est la deuxième année que nous travaillons sur le thème de la barbarie. Pourquoi avons-nous choisi ce thème, parce qu'il nous concerne:
il y a trop de barbarie dans la vie de tous les jours. Il y a aussi une autre raison: une des écoles primaires est à Oradour- sur-Glane et l'un des collèges est à quelques kilomètres. Or le dix
juin 1994 marquera le cinquantième anniversaire du massacre d'Oradour. Nous préparons la commémoration de cet acte de barbarie
Mais notre projet s'appelle: " je t'écris pour la vie". Nous aimerions que les adultes qui vivent dans un monde complètement différent du nôtre nous donnent leur opinion sur les moyens de lutter contre la barbarie pour ne plus connaître les atrocités que d'autres générations ont subies et dénoncer celles qui existent; Voulez-vous être notre partenaire? Nous aimerions beaucoup connaître votre point de vue sur les questions suivantes: Qu'évoque pour vous le nom d'Oradour? En quoi vous sentez-vous concernée par la commémoration du massacre d'Oradour? Avez-vous déjà été confrontée à une forme de barbarie dans votre enfance? Dans votre métier? Pour vous existe t-il un moyen de faire reculer la barbarie dans le monde et éviter l'indifférence face à elle? Quels conseils pouvez-vous nous donner? "
Signé : Les élèves des écoles et collèges d'Oradour - Saint-Junien - Venissieux
En accompagnement, une plaquette "Je t'écris pour la vie", foisonnante de phrases poétiques, éditée par l'association Traction Avant et
Cie. En voici quelques extraits:
"Je t'écris pour m'éloigner de ce désert.
Le paradis c'est quand je suis chez moi,
que je prends mon accordeon
et que j'oublie toute la misère
Je t'écris parce que les ruines me font peur
Je t'écris parce que jouer est une façon de s'aimer
Pourquoi les filles portent-elles de jupes?
Parce qu'il y a des volets aux fenêtres.
Je t'écris parce que j'adore le silence du chien
Je t'écris parce que j'aime beaucoup les
ponts
Et voici un extrait de la réponse de Françoise aux enfants des ces
trois écoles, réponse qui porte sur ORADOUR précisément :
"Je l'ai visité quand j'avais douze ans. C'était l'été. Un soleil de plomb. Le silence. Le silence des ruines et des ossuaires. Juste distrait par le chant des oiseaux.
Ce jour-là j'ai su qu'Oradour entrait dans ma poitrine. J'ai su qu'Oradour ne me
quitterait jamais et que le silence d'Oradour se poserait devant moi.
Aujourd'hui c'est de là que vous m'écrivez. D'Oradour je me souviens des ruines. Je me souviens d'une machine à coudre dans les ruines. Je me souviens d'une église aux dalles tachées de
sang. Le guide a dit qu'on y avait enfermé les femmes et les enfants et que tous y furent massacrés. Brûlés vifs.
Tandis que je marchais dans l'Oradour l'été de mes douze ans, l'air était brûlant. C'était probablement l'été 1954. Dans les ruines j'entendais les cigales. Des enfants échappant à leurs parents couraient dans les rues pétrifiées de silence et de chaleur pour cueillir les coquelicots qui avaient poussé entre les pavés.
Je ne savais pas que partout dans le monde les massacres se perpétueraient. Que la barbarie continuerait. Elle n'a jamais cessé.
Mais toi aujourd'hui à Venissieux, à Oradour, à Sarajevo, dans un village d'Algérie, dans un camp de réfugiés, tu seras aux commandes demain. Peut-être pourras-tu changer ce monde?
Votre lettre arrive au bon moment car figurez-vous que cette année j'ai voulu moi aussi accompagner des enfants de votre âge dans un collège de Dijon. J'ai l'espoir de leur donner un bon virus, celui d'écrire, celui de dire ce que l'on a sur le coeur. Celui d'entreprendre. Celui de créer, de fusionner avec les autres, celui de se dépasser. Celui de partager, de lutter. Celui d'aimer.
Ce serait bien de lancer des ponts partout. Quand on aura nous aussi un petit livre, je vous l'enverrai
A ce propos je viens de retrouver votre livre. Je l'ai apporté au collège. Des élèves de l'atelier en ont aussitôt lu des passages à voix haute. J'en ai lu aussi. Pour vous répondre ils vous ont écrit une lettre dont chaque phrase commence par "je t'écris".
C'est ce jour-là que tout a vraiment démarré. Les enfants de l'atelier ont eu un vrai désir de répondre. Ils ont ressenti l'urgence d'écrire. Je leur ai juste dit de commencer chacune de leurs phrases par "je t'écris"
Je t'écris pour te donner la main
Je t'écris pour te dire que l'amitié et l'amour c'est important.
Je t'écris parce que c'est une liberté
Je t'écris parce que j'ai envie de dire ma vie
Je t'écris pour que les guerres s'arrêtent et les villages renaissent
Je t'écris parce que j'ai peur de la vie.
Je t'écris parce que j'aimerais être une lettre pour traverser le ciel.....
Voici un exemple des cahiers remplis à l'époque par les élèves :
Ensuite je suis venue avec des phrases de poètes, celles de René Guy Cadou(La Vie entière-Seghers):
"Pourquoi n'allez-vous pas à Paris?
-Mais l'odeur des lys! Mais l'odeur des lys !...
Je suis malade du vert des feuilles et de chevaux
De servantes bousculées dans les remises du château...
Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
L'odeur des lys et la campagne agenouillée
Des phrases de Xavier Forneret, né à Beaune 1809-1884, Presque personne ne le connaît. pourtant on peut le considérer comme le précurseur du surréalisme:
"Par un soir où tout le souffle des anges volait sur la figure des hommes; par un de ces soirs où l'on voudrait avoir mille poumons pour leur donner à tous cet air qui semble venir des jardins du ciel; - sous d'énormes vieux arbres plantés dans des brins d'herbe, un pavillon étalait à la lune ses ailes oblongues et délabrées"
Des vers aussi de Rimbaud, de Victor Hugo...et puis de Gaston Bachelard (L'Eau et les Rêves) des phrases telles que celles-ci:
"La peine de l'eau est infinie"
"La roulade du merle est un cristal qui tombe, une cascade qui meurt. Le merle ne chante pas pour le ciel. Il chante pour une eau prochaine"
"Comment aussi expliquer autrement que par la poésie des sons des eaux tant de cloches englouties, tant de clochers submergés qui sonnent encore, tant de harpes d'or qui donnent de la gravité à des voix cristallines
Enfin pour moi cette phrase bouleversante, toujours de Bachelard, qui explique peut-être ma démarche auprès des enfants:
"OU EST NOTRE PREMIERE SOUFFRANCE (...) Elle est née dans les heures où nous avons entassé en nous "DES CHOSES TUES"
Un autre jour, je suis arrivée avec un grand cabas contenant un bâton de pluie, un bol tibétain, un coffret de senteurs que je m'étais procuré chez l'Artisan Parfumeur. Ce dernier était fort intéressant. Dessus c'était écrit "Je me souviens". A l'intérieur huit flacons, recelant une odeur agréable ou étrange, censée évoquer un souvenir. Sur chaque flacon, une étiquette bleue avec un court intitulé, évoquant le contenu du flacon: Le Baiser du Soir-Fugue au Grenier-Au coin du feu- C'est la rentrée-Les grandes Vacances- Histoires de linges-Mon quatre heures- Premier âge. Je découpais des bandelettes dans du papier cuisine absorbant que j'imprégnais du contenu d'un de ces flacons. Je leur demandais d'inspirer l'odeur de cette lingette imprégnée. En moins de dix minutes, ils trouvaient l'intitulé du flacon; Dès cette découverte, chacun était prêt à écrire le poème ou le texte qu'il voulait.
L'dée du bol tibétain
m'est venue alors que je le faisais chanter chez moi; C'est un acte qui demande une grande concentration. On appuie un petit pilon en bois à l'extérieur du bol en le tournant lentement et en
maintenant une
certaine pression, jusqu'à ce que
s'élève un son étrange qui calme et fascine à la fois. C'est un son qu'on ne peut entendre nulle part. Bien qu'il évoque le bourdonnement de millions d'abeilles, il semble provenir d'un autre
monde. On se trouve comme dans un état d'apesanteur, un voyage interplanétaire. Les vibrations produites par l'alliage de sept métaux ont un pouvoir des plus
apaisants.
Presque toujours ce
sont les élèves agités qui demandent à faire chanter le bol. Quand le chant s'arrête, il manque quelque chose. C'est de là qu'on écrit. De ce manque. Mais aussi du désir de retrouver cet état de
grâce et de légèreté qui donne naissance à une certaine écriture.
Autre expérience; Prenons le jour du Feu
La bande de papier est au tableau. En principe nous devons concourir pour une nouvelle dont le thème est le feu sous toutes ses formes, sous tous ses aspects. J'écris au tableau les mots que je veux. Très vite je suis suivie. Les mots explosent sur la longue bande de papier:
Feu d'orgueil Passion
Rouge Démon
Diable Braises Queue du diable
Fourche Trident Lave
Crêpe flambée
Chaudron
Nous nous trouvons alors devant une sorte de partition éclatée. L'idée me viendra un peu plus tard de construire un texte en douze parties, puisqu'il y avait douze participants, et de commencer par le feu cosmique pour finir tout doucement vers le feu intime. Chacun commencerait par...
"Moi Jean ou Moi Céline.
De la sorte chaque récit serait identifié et chaque jeune auteur achèverait sa partie par cettte
phrase:
"Qui pourrait croire qu'une flamme, une petite flamme ait tant de mémoire ? "
Voici par exemple le texte d'Hugo, le fils de Françoise, celui du "Petit Prince Cannibale"
MOI, JULIEN-HUGO
"Je me souviens de la flamme qui a traversé des siècles et des millénaires, comme elle a parcouru le monde et l'univers...Elle a vu la création des planètes et des étoiles. Elle sait pourquoi le ciel est bleu, pourquoi le soleil brille
Qui pourrait croire qu'une flamme, une petite flamme ait tant de mémoire?...
J'entends ce qu'elle dit:
...Feu qui brûle d'une étoile orange.
Feu qui fait exploser les étoiles
Une météorite se cogne contre une planète.
Des orages envoient des éclairs.
La foudre rebondit dans le ciel, éclate dans un cratère, et retombe sur le sol d'où jaillissent des jets de lave giclant des flammes. Brûlant des
chevaux...
Feu des enfers !
Flamboyant sur une aile de dragon.
Des éclairs attisent les braises du feu dévastateur qui brûle la plaine. Et les vallées sont en flammes.
Dans une grotte rouge, des démons aux cornes ardentes mangent les étoiles.
Rien ne peut éteindre le feu.
Il brûle même la glace.
Je suis pris par le feu
Je suis enrobé par ses flammes.
Je cours mais il n'y a aucune sortie. Je suis dans le rouge, le jaune, le noir, le gris des cendres qui tournoient autour d'un trident comme des cyclones, des tornades. Tout explose. Bombes de
braises. Flammes qui jaillissent. Flammes qui renaissent.
Feu de langue de lion
Tout explose !
Je suis entraîné dans des jets de lave qui m'envoient sur une terre brûlante, flamboyante, qui s'ouvre et me fait tomber dans des profondeurs infernales. On me lance des cailloux ardents. On me regarde avec des yeux de braise. On me donne des coups de cornes. On me pique avec un trident. On crache de la lave qui me brûle. Je suis éjecté par des bombes de braise.
Qui pourrait croire qu'une flamme, une petite flamme ait tant de mémoire ?
J'aurais beaucoup à dire sur cet atelier d'écriture que j'ai animé durant trois ans. Ces trois quarts d'heure volés à leur pause méridienne, c'était pour les enfants, plutôt inconfortable. Pour moi aussi. Je n'ai pu accomplir avec eux le travail nécessaire sur leurs textes
Comme il est agréable, au fond, de n'avoir personne à remercier et sûrement pas le petit "Fief des Ecrivains" sis à Paris, qui se targue d'envoyer les écrivains dans les écoles. Quand j'ai été les voir pour solliciter une aide, j'ai été reçue comme un chien dans un jeu de quilles. Quand je leur ai envoyé la brochure rassemblant les textes des enfants, je n'ai jamais reçu de réponse. Et ils prétendent s'intéresser aux écrivains se rendant dans les écoles !
Je n'ai pas davantage à remercier pour leur aide, les quelques ronds-de-cuir de notre opulente Bourgogne. Après m'avoir accordé du bout des doigts, du bout des lèvres, une aide financière pour la première année, ils se sont empressés de me la supprimer les années suivantes. A eux aussi j'ai adressé ma brochure. Ils n'ont pas répondu.
Lors d'un entretien dans un magazine, au sujet de mon atelier d'écriture dans ce collège et de mes innombrables visites dans d'autres établissements scolaires de la région, évidemment jamais rémunérées, j'ai dit ce que je pensais. Un rond-de-cuir dont j'ai oublié le nom a demandé un droit de réponse. Parce que ses services m'avaient versé trois sous la première année, il prétendait qu'il m'avait aidée à créer mon atelier ! Un comble !. Face à cette incurie galopante, le mieux était donc de continuer à être bénévole.
Mais comme le chante Piaf : Non ! rien de rien...Non ! Je ne regrette rien...
Et je remercie tous ces enfants de m'avoir ouvert un peu plus les yeux sur le monde et de m'avoir fait comprendre ce qu'il leur manque.
En 2000 également c'est la publication de SOULIERS D'AUTOMNE(14e ouvrage)
" La vie est singulièrement brève mais pourquoi l'histoire de mon amour est-elle en moi plus longue que ma vie?"
(André Dhôtel, la Nouvelle Chronique fabuleuse). Cette phrase est la clé de ce livre, celle qui va libérer Françoise et lui permettre finalement d'écrire "Souliers d'Automne". Voir plus bas
André Dhôtel est né en 1900 à Attigny (route Rimbaud-Verlaine) et décédé en 1991 à Paris. Il a écrit une quarantaine d'ouvrages dont "Le Pays où l'on n'arrive jamais" couronné par le Prix Femina en 1955
Dans ce livre Françoise Lefèvre va traiter des sujets les plus divers. Jugez-en:
De brefs enchantements - L'oiseau bleu finira bien par frapper au carreau - La voix du Commandeur -
Comment écrire un vrai best-seller - Complainte du "cercle des critiques disparus" - Encore la voix du commandeur
Les gnomes du marketing me soufflent de bons sujets - D'après eux, voici le titre qu'il me faut - Barbaque
Dernier recours - Soudain une idée lumineuse - Un fichier nommé Ange Doc
L'Ange évanoui - Comment se réveillent de très anciens chagrins qu'on croyait guéris - Retour à la nuit
- Non à la mélancolie noire - Une mésange se tue contre la vitre - Il faut continuer
- Quand la réalité dépasse la fiction - C'est alors qu'à minuit.. - Derrière ma fenêtre
une face pâle et flottante comme une lune
Les images de la honte - Une colonne interminable qui n'est qu'un long sanglot de femmes
et d'enfants marchant vers l'exode - A nouveau nuit et brouillard
Cette vieille lanterne de l'amour - A chaque aube un oiseau rieur
Sur le trottoir d'en face une jeune mère et ses fillettes blondes. La regardant faire, je retrouve courage
La plus haure image de l'amour contre le prêt-à-jouir. Coitus ininterruptus debilus
etc...
Toi qui écris sous ce pauvre ciel - L'enchantement
Une phrase qui sauve - Un auteur très attendu
On me demande de rédiger un argumentaire- Mon texte entier s'efface de l'écran
Entrer dans une phrase comme dans une demeure -
Je trouve une plume posée sur mon clavier - Passage de l'ange
Il neige -
Envol du dernier enfant - Sous le front calme de la laitière de
Vermeer
D'abord quelques extraits du livre, picorés à gauche et à droite. Qui pourra encore nier que toute oeuvre en gestation, ressemble à un accouchement, pas du tout "sans douleurs"
"Depuis combien d'heures et de jours suis-je assise à ma table de travail, prostrée, desséchée, calcinée, invoquant ombres et lumières, vivants et disparus. il me semble que toute une ronde d'êtres évanouis, atrocement absents, atrocement muets se tient autour de moi. Nulle plainte, nul chuchotement. Juste ce bruissement léger des âmes m'invitant à les suivre...Je manque de m'écrier:"Je ne me sens pas prête". Non je ne suis pas prête pour ce genre d'embarquement. Mais aucun son ne sort de ma bouche... Alors j'écris. Non, je ne suis pas prête pour cette errance dans les limbes, même en compagnie de fantômes familiers que j'ai connus autrefois et, pour certains que j'ai aimés. Je suis faite, hélas, pour répéter les erreurs considérables de l'amour, pour me brûler les ailes, encore et toujours. Je suis née pour les étreintes et les baisers, les courts éblouissements, la musique et les joies du monde. Ephémères bonheurs à vivre ou à contempler. Comme le vent qui vient de la mer. La houle qui se lève. Un champ de tournesols en plein midi; Le soir qui descend vers de lointaines sonnailles. Presque rien. Mais ces riens continuent de m'enchanter"
"Par la fenêtre, c'est déjà l'automne...Je voudrais faire quelques pas dans l'automne, courir et danser dans la ronde des feuilles, que tous poèmes, toutes chansons disent monotones. Malgré ce désir violent, je demeure clouée sur ma chaise comme une statue de cire dans un musée. Recluse derrière ma fenêtre, je n'ose me lever de crainte de perdre le fil des premiers mots qui viennent. Lentement, je me pétrifie. Je suis la proie d'un sortilège. J'en prends pour cent ans. Cent ans d'hibernation dans un château couvert de ronces où mes fonctions vitales vont se ralentir. Je vais vivre en apnée pour rapporter du fond des oubliettes quelques mots gravés dans la pierre, du fond des cachots, quelques ossements. Ma vie se fige quand il s'agit d'écrire. Je reconnais à peine ceux qui me sont chers. Les morts sont des boulets. Je ne peux plus bouger. Je ne peux aller et venir. Je n'arrive plus à rire. Tout s'éloigne et je m'éloigne de tout. Je n'ai jamais su."
Car un livre à écrire, pour moi, ce sont des ténèbres à traverser. Regardant au-dehors, je souhaite follement qu'il m'arrive un évènement aussi extraordinaire que dans les contes. Que le vent d'automne soulève et plaque une feuille rouge sur la vitre. Que sur cette feuille apparaisse quelque chose d'écrit à mon intention. Un message que, seule je pourrais déchiffrer. Un mot. Juste un mot que je garderais comme un talisman et qui me donnerait la force d'avancer. Je souhaite encore qu'un très grand oiseau au plumage aussi bleu que celui du conte frappe de son bec au carreau. Que je puisse m'accrocher à ses ailes et qu'il m'emporte...
Juchée sur un puissant frison, monture noire comme la nuit, je chevauche par d'immenses
clairières verdoyantes, je galope vers des collines enchantées, des forêts murmurantes. Diamants et pierres précieuses roulent au fond des rivières; J'en puise selon mes besoins. J'atteins un
château flanqué d'échauguettes, rempli de lumière, pont-levis baissé. On m'y attend...
(Lavis de Victor
Hugo)
Chaque jour, j'espère trouver un trèfle à quatre feuilles. Quelqu'un aurait marché dessus et je le verrais se redresser doucement. Je rêve aussi de voir briller un anneau entre les lames du plancher ou d'en découvrir un sans l'avoir cherché dans la terre du jardin. Un chiffre ou des initiales y seraient gravés, que je saurais reconnaître. Mais rien de tout cela n'est arrivé. Rien de la sorte ne m'arrive jamais"
Mais revenons au point de départ du livre et à sa véritable raison d'être
"Ainsi je viens de rêver que j'avais écrit un livre d'une extrême vulgarité et qu'il remportait un immense succès. C'était un pavé d'au moins six cents pages. Exactement ce genre d'ouvrage que je suis incapable de rédiger. A peine éveillée je torturais ma mémoire pour essayer de me rappeler si je l'avais publié sous mon nom ou sous un pseudonyme. Impossible de m'en souvenir. J'espérais que ce fût sous un nom d'emprunt. Mais rien n'était moins sûr. Dans ce rêve, plutôt un cauchemar, je découvrais que certains critiques, qui jusque là n'avaient jamais consacré une ligne à mes précédents ouvrages, au nombre d'une vingtaine à ce jour, saluaient l'épaisseur et le contenu de celui-ci. L'épaisseur surtout semblait les impressionner. Etrangement, ils en parlaient en termes culinaires, comme on le ferait d'un gigot ou d'un pot-au-feu; "Un magnifique plat de résistance...Loin de cette nouvelle cuisine pour anorexiques...Voilà un plat de consistance..."
Telle est en effet, au départ la raison d'être de ce livre: Retrouver le contenu de ce livre dont elle vient de rêver, en débusquer la vulgarité et savoir ce qui lui a valu un tel succès de librairie et de critiques (dans son rêve), le succès étant manifestement pour l'auteur, un signe de compromission, de trahison de soi, d'abandon de son authenticité, au profit de sollicitations d'éditeurs, avides de faire monter leurs ventes en demandant à leurs poulains de faire des livres avec plus de sexe, plus de violence, plus de people. Et quelque part ce rêve dit à Françoise qu'elle a trahi son écriture, en cédant aux pressions de l'argent et de la gloire, des éditeurs et des critiques. Elle veut donc découvrir le contenu de ce livre et l'écrire, en quelque sorte réveiller le contenu de son rêve, probablement pour l'exorciser. Mais elle n'y arrivera jamais et finira par y renoncer en découvrant la phrase d'André Dhôtel, lui envoyée au bas d'une lettre par un ami qui ignore tout de la gestation de "Souliers d'Automne"
"La vie est singulièrement brève, mais pourquoi l'histoire de mon amour est-elle en moi plus longue que ma vie ?"
"Cadeau inestimable. Dès lors qu'elle l'a lue, cette phrase la sauve. Elle quitte ombres et chimères, ambition crapuleuse d'écrire un best-seller..
C'est de là qu'il faudra repartir. A mains nues. A coeur nu. Ereintée, mais libre, elle retourne vers les thèmes qui lui sont chers. Les lueurs pâlissantes de la vie. C'est de là que son écriture va rejaillir. A cette phrase d'André Dhôtel, elle demande asile. Elle demande protection. Epuisée par la course, le mensonge, le fourvoiement, l'imposture, elle demande que cette phrase devienne son abri, sa demeure. Au moins jusqu'à la fin de ce livre. Jusqu'à ce qu'elle trouve en elle la force d'extraire ce mot scellé par l'oubli: Amour. Ce maître-mot dont elle n'aurait jamais dû s'éloigner. Ce mot intraitable. Loin de la morte et des génocides, malgré le visage d'un cancéreux qui va mourir, grâce à ce mot trouver la force d'aimer encore plus les arbres, le vent, la transparence d'un pied de bébé dans la lumière, la coccinelle qui se pose sur la page blanche, le lézard qu'on découvre dans la boîte aux lettres au lieu de la lettre qu'on attend. Et puis la force poignante du chant du rossignol. Tous ces riens qui font de vous un être vivant parmi les vivants
Loin des chimères, de la dictature des "meilleures ventes", elle poursuit et consigne les mystères les plus
simples
Et pour terminer quelques autres extraits :
"Je me souviens du pire visage de la mélancolie et du désastre. C'était il y a plus de vingt
ans près de Paris, dans l'Essonne, je m'étais perdue dans le parc d'une clinique psychiatrique composée de différents pavillons; J'avais une visite à rendre. je cherchais le bureau des
entrées que je ne trouvais pas et tournais sans fin entre les petits bâtiments de briques. Il pleuvait fort...quand soudain au détour d'un chemin bordé de sapins, je découvris un pavillon un peu
retiré. Au rez-de-chaussée, derrière une porte-fenêtre fouettée par la pluie, je distinguai un visage d'homme, le plus lugubre visage qu'il me fût donné de voir. Le front écrasé contre la vitre,
il me regardait venir. Ou peut-être regardait-il tomber la pluie. A moins qu'il ne distinguât ni la pluie, ni moi, ni rien
Ce visage au teint plombé, aux cernes noirs, marqué, buriné, ce visage d'un homme dans la force de l'âge me pétrifia par son immobilité et la fixité de son regard, vidé de son âme. On eût dit que toute vie s'était retirée de lui comme chez les gens lobotomisés. Derrière le carreau battu par les giboulées, il continuait à fixer le chemin par lequel j'arrivais. Jamais face humaine ne m'apparut aussi tragique, aussi terrifiante que celle de cet homme à sa fenêtre. Je ralentis ma marche. Si ses yeux ne me voyaient pas, la force d son immobilité me commandait de m'arrêter. Immédiatement, je sus que ce masque du désastre, ce visage de cire noircie, entrevu deux minutes derrière la vitre ruisselante, s'imprimerait dans ma mémoire pour le restant de mes jours. Alors que j'abordais l'angle du pavillon et que l'expression de ce naufrage humain disparaissait de mon champ de vision, il me sembla que j'avais déjà vu ce visage. Plus de vingt ans plus tard, je découvris sa photo dans un quotidien. Il s'agissait d'un philosophe marxiste qui avait étranglé sa femme. Je me souviens qu'à l'époque on murmurait qu'une personnalité du monde des lettres, effectuait un séjour dans cette clinique, dite pudiquement de repos. Il n'avait pas encore assassiné sa femme..."
NB. Il s'agit de Louis ALthusser. Né en Algérie en 1918 et décédé dans les Yvelines en 1990, Althusser est un philosophe français considéré comme un acteur majeur du courant dit structuraliste des années 1960 dans lequel on incluait souvent Claude Levi-Strauss, Jacques Lacan et Michel Foucault. Depuis la dernière guerre il faisait de nombreux séjours en Institut psychiatrique. Le 16 novembre 1980, lors d'une de ses "permissions", il étrangle son épouse Hélène Rytmann dans leur appartement de l'Ecole Normale supérieure. Interné à Ste Anne et donc bénéficiant d'un non-lieu, il s'expliquera de son geste dans une autobiographie "L'Avenir dure longtemps". Une pièce de théâtre, mettant en scène ce meurtre et intitulée "Le Caïman" sortira en 2006 (Pièce d'Antoine Rault avec Claude Rich dans le rôle d'Althusser).
Voici un extrait du chapitre intitulé "Les images de la Honte"
"Durant cette période
(1999), une terrible guerre a eu le temps de commencer et de finir. De finir officiellement. Celle du Kosovo. Je me souviens de la phrase d'un journaliste décrivant l'interminable colonne de
tracteurs et de charrettes, où sous des bâches en plastique, s'entassaient femmes et enfants fuyant leurs villages en flammes. Ces villages transformés en centaines d'Oradour où dans chaque
famille on avait séparé les femmes et les enfants des hommes, obligeant ces derniers à assister au viol et à la torture de leurs soeurs, leurs épouses, leurs filles, leurs bébés, après quoi, les
hommes du village à leur tour étaient torturés, émasculés, exécutés de la pire façon devant ces mêmes femmes. Ces récits nous les avons tous entendus. Ces images nous les avons toutes vues. Le
journaliste ajouta que cette colonne interminable n'était plus qu'un long sanglot de femmes et d'enfants marchant vers l'exode dans le froid et la nuit.
J'ai toujours su que cette terre était avant tout une vallée de larmes et rarement, si rarement un paradis où couleraient des fleuves de lait et de miel. Comment reprendre pied quand les évènements de la vie saccagent votre joie? Chaque matin, je me le demande. Ce qui a terni mon existence depuis Pâques, ce n'est rien quand je songe à la déportation de tous ces êtres humains. Ces images de la honte qui ne sont pas sans rappeler celles de la Shoah. Ces vieillards tirés comme des pantins à même la neige et les pierres du chemin par des hommes épuisés. Ces mères qui n'en peuvent plus, portant leurs enfants et, dans un baluchon, quelque miettes pour subsister. D'autres enfants guère plus âgés, accrochés à leur manteau pleurent de trop marcher. Les pieds sont en sang. Les pieds sont couverts d'engelures. Dans la colonne, une très vieille femme a été installée dans une brouette. Sa tête et ses membres pendent et ballottent. Un homme exténué la pousse. Il s'écroulera en arrivant aux portes du camp. Un peu à l'écart, on a tiré une femme qui accouche dans la neige et les cailloux. Elle semble navrée de ralentir la longue procession des réfugiés. Des femmes s'affairent autour d'elle. La douleur et le gel tordent son visage. On essuie son sang qui se fige. On enveloppe l'enfant dans des châles de fortune. Elle, on la transporte dans une sorte de drap tenu aux quatre coins par des hommes..."
Sur le trottoir d'en face, une jeune mère et ses fillettes blondes.
La regardant faire, je retrouve courage.
" En garant ma voiture tout près de l'église Notre-Dame, j'ai vu une scène extraordinaire. De l'autre côté de la rue, quelqu'un aussi garait sa voiture, un genre de fourgonnette comme la mienne; Une jeune femme en descendit et ouvrit la portière à une volée de fillettes blondes aux longs cheveux, toutes plus ravissantes et turbulentes les unes que les autres. Sur le trottoir, elles couraient et sautaient dans tous les sens. Leur mère ouvrit le hayon et en sortit une voiture qui était le modèle réduit d'une voiture d'infirme. Elle la déplia, puis, plongeant par la porte arrière, elle en ressortit avec une fillette d'environ six ans dans ses bras. Il me sembla que la petite avait du mal à tenir sa tête et qu'elle portait une minerve. Avec ses longs cheveux blonds, elle ressemblait beaucoup aux autres qui étaient probablement ses soeurs et qui gambadaient sur le trottoir. Sa mère l'installa sur la petite chaise roulante qui très vite me sembla performante, car, à peine installée, en appuyant sur une manette, l'enfant fila au fond d'une impasse, non sans s'être amusée à sauter quelques bordures de trottoir. Elle était d'une agilité stupéfiante et faisait ce qu'elle voulait de sa voiture qui semblait conçue pour ne pas se renverser. Sereine la mère retourna à l'arrière de sa fourgonnette et en descendit une seconde voiture, identique à la première. Dans ses bras elle tenait une autre fillette, qu'on aurait dit jumelle de la première, vraie poupée de chiffons, dont le cou était lui aussi maintenu dans une minerve. Elle l'assit dans sa chaise roulante et l'enfant partit de façon tout aussi fulgurante à la recherche de sa soeur. Toutes deux se poursuivaient inlassablement, faisant du cross, sautant des bordures de trottoir, cherchant à passer dans tous les trous, toutes les flaques. La tête légèrement pendante sur le côté, elles s'amusaient à décrire des cercles de plus en plus petits. Après ce ballet stupéfiant, elles disparurent au fond de l'impasse, le long de l'église, suivies de leurs autres soeurs qui couraient tout autour. Je demeurai fascinée par tant de grâce, par le courage, la force, la légèreté de leur mère. Je pensai que ces petites filles étaient probablement myopathes. Longtemps l'image de cette mère et de ses nombreux enfants, légère, si légère dans sa terrible épreuve, m'a accompagnée. Elle ne me quitte pas"
Françoise Lefèvre et les Oiseaux
"Parfois je voudrais être très vieille pour cesser d'évoquer ce que j'ai perdu et m'émerveiller de ce qui me reste encore, comme le chant des oiseaux aux premières lueurs de l'aube. Ma fenêtre ouvre sur une forêt et c'est une joie sans nom d'être réveillée par les oiseaux. Il y en a un qui commence à chanter avant les autres. Toujours le même. Plus matinal. Plus vaillant? Plus audacieux? Il pousse un cri victorieux tout en volant très vite. J'ai pu l'apercevoir une fois, mais mal, car lorsqu'il chante, j'allais dire, lorsqu'il rit, il fait encore nuit pour quelques secondes. Son cri zèbre le silence comme pour colporter une très heureuse nouvelle. Son cri ressemble vraiment à un rire d'une gaieté folle auquel ne résisterait aucune mélancolie. En tout cas pas la mienne. Je lui rends grâces de me communiquer, de m'instiller un peu de sa joie, de son insouciance, de sa vaillance. je me demande s'il ne s'agit pas d'un merle. Parfois, dans son chant, dans ses roulades, il y a comme une interrogation. Gaston Bachelard n'a t-il pas écrit:: "la roulade du merle est un cristal qui tombe, une cascade qui meurt. Le merle ne chante pas pour le ciel. Il chante pour une eau prochaine"?. Mais moi j'entends: il chante pour sa mort prochaine. Il se donne à lui-même une aubade claire et désespérée. Il célèbre par un chant d'amour fou la vie qui va le quitter. Des notes, des roulades de plus en plus mélodieuses, de plus en plus hautes, de plus en plus fortes. Un chant d'adieu, si vaillant qu'il serre le coeur. Est-ce la prescience que, pour lui aussi, les jours sont comptés? Cette hâte, cette énergie qu'il déploie pour éveiller le monde de ses trilles, contaminer de sa joie les dormeurs impénitents, les abasourdis, les noceurs, les fainéants, les lymphatiques, les neurasthéniques, m'émerveillent. Il semble dire : "Debout ! Debout !La nuit se déchire et tombe en lambeaux. Les mauvais rêves retournent aux marécages. Je vole par-dessus les arbres, les bosquets, les ruisseaux, les premières pervenches, les cheminées fumantes "
Cet oiseau rieur qui se manifeste juste à la seconde où le monde va sortir de sa nuit me fait
courir d'une fenêtre à l'autre pour tenter de le surprendre et de le reconnaître enfin. C'est devenu pour moi un rendez-vous que j'attends chaque aube; Si je ferme les yeux pour mieux l'écouter,
puisque je ne peux le voir, je sens que s'efface de mon visage un masque de souffrance, je sens que s'éloignent les douloureuses tensions, les chimères des trahisons amoureuses. Y aurait-il un
peu d'éternité dans le chant des oiseaux? Leurs trilles me restituent une joie intense et enfantine. Cette gaieté résistante des enfants comme au temps où je courais dans les hautes herbes,
naviguant au milieu des papillons. Dans la prairie, je croyais que l'histoire du monde venait juste de commencer. Dans cette prairie, je croyais que le monde était né avec moi.