Il s'agit d'un petit rongeur de la famille des Marmottes, tout comme le Lemming.
L'histoire de leur suicide collectif annuel est racontée par Jean Giono dans le Nice-Matin du 12 septembre 1964 et repris par René Barjavel dans son livre remarquable, intitulé "La Faim du Tigre", édité chez Denoël et que je vous recommande chaudement
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Comme les Lemmings vivant dans les montagnes scandinaves, les Bobacs, qui vivent en Sibérie méridionale ont commencé à se suicider vers 1875-1876. La date nous indique à voir là une conséquence indirecte du massacre par les hommes de quelque espèce prédatrice équilibrante, probablement le loup en l'occurence. N'oublions pas que le fusil de chasse est une invention du XIXe siècle. Le loup raréfié, le bobac s'est mis à proliférer jusqu'au nivbeau de rupture
Alors le trop-plein s'est mis à couler vers l'océan Glacial Arctique. Le géographe et biologiste russe Potanine a assisté pour la première fois en 1880 au suicide des bobacs et il l'a fait pendant 20 ans
Mais laissons raconter Jean Giono:
"...au mois de mai, les bobacs sortent de leur galerie souterraine
Ils se réunissent par centaines de mille, voire par millions, et se mettent en marche. Le chemin dans lequel ils s'engagent a trois mille kilomètres de long
Le premier jour du voyage, une sorte de clivage se fait entre les bobacs destinés au suicide et ceux qui doivent assurer la continuité de l'espèce. Tout le monde part, mais au crépuscule quelques millions de bobacs retournent aux labyrinthes souterrains. Comment se fait le clivage? Personne ne le sait.
On a remarqué que la troupe destinée à se suicider est fort joyeuse. Les animaux jouent entre eux, lutinent les femelles..."
Parenthèse: au moment où paraissait l'article de Giono, les télévisions française et allemande projetaient une rétrospective de la déclaration de la guerre de 1914. Le parallélisme des deux tableaux est saisissant. Nous avons vu sur le petit écran des population entières-française, allemande, autrichienne, russe...partir vers les gares dans un délire de joie. On aurait pu écrire les mêmes phrases "... la troupe destinée à se suicider est fort joyeuse. Les hommes jouent entre eux, lutinent les femmes..."Puis le clivage se fait. Une partie de la population retourne à ses demeures. Une autre partie toujours joyeuse, s'embarque vers la mort.
Mais retournons aux bobacs.
Ils mettent quatre mois à franchir les trois mille kilomètres qui les séparent du lieu où ils vont mourir. Ils suivent la rive gauche de l'Iénisséi.
"Les bobacs marchent nuit et jour sans arrêt. Ils se nourrissent en marche, ils ne maigrissent pas , ne manifestent jamais de fatigue. Aux environs de juillet, ils sont à la hauteur de Touroukhansk. Dès qu'ils ont dépasé le confluent de la Toungouska inférieure, ils traversent l'Iénisséi pour passer sur la rive droite. A travers la toundra, ils se dirigent vers le bord occidental de la prequ'île de Taïmyr. Arrivés là, ils se jettent dans l'océan Clacial Arctique et se noient tous" A l'endroit où les bobacs traversent l'Iénisséi, le fleuve a plus de deux kilomètres de large. " Ils déploient à cette occasion, dit Albin Kohn, une science de la nage aussi subtile que celle de la loutre, ils sont aussi à leur aise dans l'eau que des poissons, il ne se perd pas un seul animal pendant la traversée"
Et voici comment Giono décrit leur comportement final, d'après Potanine:
"Ils arrivent à petit pas au bord de la mer, entrent dans l'eau et se noient instantanément, sans esquisser le moindre mouvement. Bientôt la petite baie est remplie de cadavres, peu à peu emportés vers le large, pendant que toute la troupe se noie, délibérément, sans hâte et sans une seule exception
Ce suicide collectif dure chaque fois deux à trois jours ou, plus exactement, de quarante-huit à soixante douze heures, car il n'y a pas d'arrêt, et la nuit la cérémonie continue"La différence du comportement des bobacs dans l'Iénisséi et dans la mer montre bien qu'ils ne sont pas la proie d'un réflexe d'aoutodestruction anarchique. Ils ne doivent pas mourir n'importe comment n'importe où
Ils obéissent à une ordre précis. Ils marchent vers la mort pendant quatre mois, joyeusement, ignorant sans doute où ils vont et pourquoi ils y vont. Comme ils ignorent le pourquoi de ce qu'ils font quand ils s'accouplent
C'est bien effectivement, un instinct du même ordre que l'instint de reproduction qui semble avoir surgi pour les jeter à la mer?. Il joue en sens inverse, pour la mort au lieu de la vie, mais il se manifeste de la même façon: un appel impératif inéluctable, auquel on obéit avec une joie puissante. Tous les savants qui ont étudié le suicide des bobacs sont en effet d'accord pour constater, avec étonnement , que les millions de petits êtres qui trottinent à travers tout un continent pour aller se noyer, y vont joyeusement, comme on va vers un but délectable. Et peut-être l'instant où ils entrent dans la mer et se donnent la mort est-il un instant de plaisir inicible, comme l'instant où se transmet la vie. L'instinct de vie et l'instinct de mort ne s'inhibent d'ailleurs pas l'un l'autre. Pendant leur voyage, les bobacs s'accouplent et mettent bas. Mais ils abandonnent leurs petits, car ils ne doivent pas s'arrêter
Pendant les guerres des hommes, on voit aussi les permissionnaires venir semer des enfants, puis repartir vers la mort en abandonnant le terrain et la récolte.
L'individu n'est rien. L'espèce le commande. Et la loi d'équilibre commande les espèces. Pour obliger les hommes à se faire tuer, l'espèce a mis au point, sous des formes sociales, des moyens de contrainte auxquels il ne peut pas résister. Propagande d'abord, qui lui fera remplacer la peur de sa propre mort par l'ardent désir de provoquer celle de son semblable. Puis, lorsque la réalité le frappe et efface la propagande, l'impossibilité de s'échapper du mécanisme à tuer et à mourir dont il est une pièce à la fois active et passive
La différence entre l'homme et le bobac, c'est que le bobac ignore qu'il va mourir-du moins nous le supposons-et que l'homme ignore seulement pourquoi il meurt
Dans l'un et dans l'autre cas, il y a mensonge. Le bobac croit aller vers une nouvelle joie alors qu'il va vers la dernière. L'homme croit mourir pour défendre sa terre, sa femme, sa liberté, ses idées, alors qu'il meurt simplement parce qu'il est de trop
A moins que...
A moins que le bobac sache vraiment qu'il va mourir. Et qu'il soit joyeux parce qu'il sait ce qu'est la mort.
Dans ce cas, nous devrions regretter de n'être pas bobacsEt ce 13 Juin les belges vont se précipiter dans leurs bureaux de vôte...., COMME DES BOBACS