"Articule, Marlon ! "crie le metteur en scène Elia Kazan (sur la photo), du fond de la salle. Ainsi débutent en 1946, les
relations du jeune comédien avec celui qui mène de front une carrière d'acteur et de metteur en scène, au théâtre comme au cinéma.
Même si ses parents se sont installés aux Etats-Unis, alors qu'il n'avait que quatre ans (Elia Kazanjoglous est né à Istanbul en 1909 ), Elia Kazan se considère avant tout comme un émigré.
D'origine grecque, il puisera dans son déracinement comme dans son appartenance à deux cultures, la sève qui court dans ses oeuvres fortes et dérangeantes
C'est alors que Tennessee Williams va entre en scène avec son fameux "Un tramway nommé Désir". Cette pièce est un brûlot malséant qui brasse, dans un contexte social hyperréaliste, les névroses
et les pulsions sexuelles. Décor: Un bas quartier de la Nouvelle-Orléans où vivent un ouvrier fruste (Stanley Kowalski ) et sa jeune femme enceinte. Survient Blanche, la soeur de cette dernière,
mythomane et nymphomane. Et les envies, les ranceurs, l'expression des désires les plus bruts, vont culminer avec le viol de Blanche par Stanley. Suggéré par Elia Kazan , le choix de Brando, et
un véritable trait de génie. Comme l'écrit Truman Capote, il est alors " l'image idéale de la jeunesse américaine-cheveux blond foncé, yeux gris-bleu, teint basané, démarche athlétique:
la carte des Etats-Unis est gravée sur son visage ". Mais c'est avec la pièce de Tennessee Williams que va s'affirmer l'étonnante dualité d'un acteur d'une beauté féline et quasi féminine soudain
voilée par des éclairs de brutalité et de vulgarité. Alternant ses fameux murmures inaudibles et son inimitable faculté à se faire comprendre d'un geste ou d'une attitude, Brando incarne avec
raffinement ce primitif en maillot de corps sous qui sommeille Hamlet et peaufine avec délectation le portrait d'une Amérique ambiguë.
Un Tramway nommé Désir, qui sera joué pendant plus d'un an et demi, marque une date dans l'histoire du théâtre américain. Mais fin juin 1949, Brando ne sait probablement pas qu'il ne remontera
jamais sur les planches. C'est le Cinéma qui va prendre le dessus avec "C'étaient des Hommes" de Fred Zinnemann en 1950