Bio 49 -1957 Fin Première Candi - Chantier de Versailles
Alors avec le professeur Paulus, l'examen de psychologie, est une conversation, à bâtons rompus sur Moravia, dont j'ai lu "Le Mépris", "Les Indifférents" et "Le Conformiste", coup de bol !! Et apparemment cette conversation le passionne; il ne doit pas avoir l'occasion d'en parler souvent de Moravia dans son entourage et voici qu'un petit étudiant prend la balle au bond. Et alors il se passe ceci: J'ai fait un très mauvais examen de Philo. Matière: "De Thalès à Bergson". Pourtant j'aime la philo, mais pas ce cours rébarbatif du Professeur Devaux assorti d'une extension sur la Logique mathématique, à laquelle je ne comprends rien ; Toujours ce blocage en maths, ce blocage au père. Je suis à la limite de la côte d'exclusion. Je le sais et pour moi, je suis recalé, sans aucun doute, car le tri est impitoyable, en première session d'une première candi de Droit où il y a beaucoup trop de candidats. Et en effet lors de la délibération à laquelle j'assiste, 17 étudiants sur 120 réussissent et miracle, je fais partie du lot. J'apprendrai par la suite que Paulus m'a défendu à mort par rapport à ce prof.de Philo. Me voici donc sauvé par la psychologie (C'est prémonitoire, on le verra par la suite) et par Alberto Moravia
Tout ceci nous amène à l'Eté 1957. Un été libre puisque j'ai réussi en première session. Sur les conseils de ma mère, je me suis inscrit au Mouvement Chrétien pour la Paix, qui organise un vaste chantier routier à Versailles (ma mère essaie de me faire rentrer par tous les moyens dans le giron de la foi chrétienne et surtout dans celui de l'Eglise, comme elle l'a fait avec mon père). Néanmoins, sur ce chantier, je vais prendre mon pied. D'abord je vais apprendre le métier de terrassier, en construisant une route à Versailles, tous les jours de six à douze heures, pendant trois semaines. La photo montre toute l'équipe remontant du chantier pour le repas de midi, servi dans la "Galerie dégueulasse" du château. Je dois être le deuxième à partir de la gauche, maigre comme un clou.
Il y a là, des garçons et des filles de tous les pays d'Europe, des catholiques et des protestants. L'après-midi avant de nous rendre à paris, nous discutons autour de la Bible. Mon chef de chambre est un hollandais, grand, blond-roux à lunettes, très sympa. On doit être à six dans chaque dortoir. Un jour je le fais rire aux larmes avec une blague de "Marie-Chantal", personnage snob très à la mode à l'époque. Elle avait des expressions bien à elle du style "C'est à s'tap". Le hollandais me demande ce que cela veut dire et je lui donne la traduction " C'est à se taper le derrière au plafond!". Et mon hollandais de se taper ventre, cuisses et derrière sur son lit, de jeter ses jambes au plafond et d'éclater de rire en cascade et ça va durer dix minutes. Jamais je n'avais eu un tel succès de rire. La preuve: je n'ai pas oublié l'anecdote. Malheureusement la blague n'était pas de moi
Je me lie aussi d'amitié avec un Suisse allemand, Aloïs Müller, aussi gentil que lourdaud. Je me souviens aussi d'une strasbourgeoise, Marie-Eve Hoffet. Et puis il y avait mon ami liégeois de fraîche date, Michel Rutten, étudiant en Médecine, très drôle et très croyant. Je l'avais rencontré dans ma paroisse Saint-Gilles, à des Ciné-Clubs, organisé par un vicaire d'avant-garde, l'abbé Van Bergen, un type remarquable, blanc et maigre comme un fromage, pétillant d'intelligence, anti-conformiste, féru de cinéma et de psychologie et qui disait continuellement "ce n'est pas grave" avec un de ces accents flamand de derrière les fagots (le "g "de grave on ne peut plus guttural et le "r", vachement bien roulé ).
Mais revenons à Versailles où le soir, on se retrouve autour d'un feu de camp et là, chaque soir, je remporte un franc succès avec mon inséparable guitare. je me souviens d'une petite allemande qui me demandait à tous les coups de lui jouer la même chanson de Brassens "Les sabots d'Hélène".
Et puis je me suis offert une petite anglaise, pas très belle, Rosemary Miller. Elle était de Manchester, rose comme une anglaise avec des bouclettes "blond-paille". On se roulait des patins, à Versailles comme à Paris.
Mon ami Michel et moi, on picolait pas mal au gros rouge. Je me souviens d'un retour de chantier, où nous avons disparu sous un cèdre géant, pour vider cul-sec, un litron de rouge avant de nous rendre au repas de midi. J'étais tellement pété, qu'en servant une énorme louche de purée couronnée d'une saucisse attrayante à souhait, à la copine de Rosemary, anglaise elle aussi, j'ai tapé ma louche sur la table en bois, juste à côté de son assiette, sous le regard ahuri de la demoiselle qui avait de longs cheveux noirs, désormais pailletés de Kartoffeln Purée. Fameuse déclaration d'amour, la saucisse ayant rebondi dans son décolleté. Je revois Michel, tordu de rire sur son banc