BIO 46 La Côte belge en 1956
Quant à la Côte belge au plus j'approche de mes dix-huit ans, au plus ce que j'en vis dans mon petit milieu bourgeois me devient insupportable. Je parle ici de la jeunesse dorée des années cinquante. Tout le monde n'a pas attendu "les Golden Sixties" pour se dorer la pilule. Je suis parmi ces jeunes, un garçon à part, le tennis excepté. Je me promène souvent seul sur la plage et non sur la digue, face à la mer, sur les brise-lames, et je plonge régulièrement dans l'eau, soit tôt le matin, soit au crépuscule. La vivifiante flache du Nord, après dix minutes de résistance aux vagues divagantes, on en a plein la gueule et on en sort avec un corps bouillonnant, des vaisseaux-non fantômes, seulement sanguins-frappés de plein fouet et une brûlure immédiate ressentie dés que l'on se retrouve sur le sable mouillé. Une réaction de feu de bois, qui se met à crépiter et vous brûle tout le corps de part en part, de lame en brise-lames, de larmes en brise l'âme. Aucun rapport avec les eaux glauques, tièdes, transparentes, presque sans vagues de la Méditerranée, que j'aime pourtant tout autant, sinon plus. Car j'ai beau faire, je serai toujours à la fois du Sud et du Nord, avec tout de même un côté nettement plus solaire que glaciaire. J'aime bien Bergman mais ma peau est plus proche de celle de Fellini. Je n'aime pas le froid. Je l'affronte facilement, là n'est pas le problème. Le froid, Le Nord, pour moi, c'est la mort avant terme. C'est le cercueil anticipé. Mais le Sahara aussi c'est la mort. Trop de soleil tue. Moi je veux, pas mal de soleil et beaucoup de couleurs, et beaucoup de fleurs et je n'aime, dans les hivers, que la neige, rien que la neige, à cause de la lumière intense comme en montagne, la lumière mystique qui compense les feuilles mortes, comme le fait la lumière du Désert. Montagnes neigeuses d'extrême droite, déserts secs et pauvres d'extrême gauche. Extrême Nord, extrême Sud. Il y a un Sud de luxuriance et un autre Sud d'aride pauvreté.
Donc oui, c'est cette mer du Nord-là que j'ai appréciée, celle des brise-lames, des crevettes roses ou grises, des étoiles de mer, des couteaux, des tourelles, des crabes aux pinces dehors, des grandes vagues claquantes, écumantes, de la bise iodée et des grains de sables de verre sur ma peau granulée et dorée de vent salé, plus que de soleil soufré.
Mais retour en Juin 1956. J'ai le grand diplôme, je puis donc tout entreprendre mais ne sais trop ce que je veux faire. Je pense au journalisme mais ma mère me dit "Fais d'abord le Droit, on verra après ". La médecine, je n'en veux pas, je suis saturé: avec un arrière grand-père, deux grands-pères, un père et un oncle médecin, j'ai mon compte. Pourquoi pas les romanes au fond? C'est sans doute moins chic que le droit pour un fils de bonne famille !