BIO 9 Mes premiers souvenirs d'enfance
Mes vrais souvenirs d'enfance commencent en 1940, à Liège, dans cette maison du Quai Mativa. Les aleas de la guerre vont faire que mon enfance sera liégeoise et non gantoise, même si je retourne de temps en temps à Gand chez mes grand-parents et chez mon Oncle Lucien Brunin (qui est Juge) et ma tante Ginette, soeur de mon père, qui ont un fils, Didier, qui a quatre ans de plus que moi. J'y reviendrai plus tard !
Je vis donc en bordure de Meuse, sous l'occupation allemande, plus que présente. "Ausweispapieren" à tous les tournants, j'en ai plein les oreilles. Barrages de barbelés, guérites, contrôles. Ma mère qui ne tient pas en place m'emmène sans arrêt sur son vélo, plus exactement dans un panier en osier fixé à sa selle. Le plus souvent elle va voir des amies cheftaines car avant la guerre elle a été une des premières cheftaines de Belgique et a formé un clan de femmes, le Clan Reine Astrid, des femmes catholiques, bien sûr et royalistes puisque "Reine Astrid", cette Reine mythique, Suédoise, épouse du Roi Leopold III et morte tragiquement dans un accident de voiture en 1935, en Suisse à Küssnach. On peut dire que ma mère et ses amies sont de féministes avant la lettre, des mini "Lady Baden Powell"
Dés le départ, j'évolue donc dans un monde catholique, scout et royaliste. Le seul qui fasse tache c'est mon grand-père, ex-ministre libéral, probablement franc-maçon (milieu de l'Université non-catholique de Liège) mais néanmoins très ami avec notre Roi catholique Leopold III. C'est en tout cas le seul à ne pas aller à la messe.
Donc en gros, je vis la guerre dans un panier en osier , sur le porte-bagages d'un velo, au rythme des coups de pédale énergiques de ma mère et des » Ausweisspapieren » des Scleus en guérite.
Autour de moi, ma soeur, Danièle, un an et demi de moins que moi (juin 1939) avec laquelle je m'entends très bien, et ma grand'mère et marraine, Adrienne surnommée Lily, qui passe sa vie dans la cuisine (elle a un diplôme de régente ménagère mais elle n'exerce pas ou plutôt elle exerce son diplôme à la maison) à demi-enterrée (la cuisine et elle du même coup)) avec des remontées en surface au salon du 1er étage, pour lire le journal et écouter la radio et il y a le grand homme, son mari, le recteur et professeur d'anatomie, qui rentre ponctuellement à 18h00, s'installe dans le salon que nous devons quitter, ma grand-mère, ma soeur et moi, pour le laisser s'installer à son piano (à queue, quel piano. Mon goût du piano vient de lui)). On le revoit dans la cuisine à l'heure du repas du soir. Il ne dit rien, semble continuellement absent; il est clair que sa vie est au-dehors.
En ce qui me concerne, je puis attester qu'il ne m'a jamais adressé la parole, sauf une fois à la fin de la guerre. Il avait perdu ses lunettes dans un champ sur les hauteurs de Liège; c'étaient des lunettes d'écailles auxquelles il semblait tenir beaucoup car il était complètement paniqué. Nous montons à plusieurs dans ce champ et nous faisons un "rateau "et miracle, c'est moi qui retrouve les lunettes; il est tellement content qu'il tire de son porte-feuilles un billet de 5 Francs, un billet rose et me le donne; ce billet je l'ai toujours ! (voir ci-dessous)
Incroyable d'imaginer qu'un homme qui héberge sa fille et ses deux enfants pendant la guerre et qui se trouvant quotidiennement devant son petit-fils, privé de père, ne lui accorde néanmoins aucune attention! J'apprendrai plus tard que mon grand'père n'aimait pas les garçons et que ma mère était sa préférée.
On comprendra mon septicisme vis-à-vis du concept de "grand homme". Un grand homme n'a rien à voir avec les honneurs, les décorations, la stature, les diplômes, les vrais grands hommes sont ailleurs et souvent dans l'ombre