Patrick Modiano, né le 30 juillet 1945 à Boulogne-Billancourt, est un écrivain français, auteur d’une trentaine de romans primés par de nombreux prix prestigieux parmi lesquels le Grand prix du roman de l'Académie française et le prix Goncourt. Axée sur l'intériorité, la répétition et la nuance, son œuvre romanesque se rapproche d'une forme d'autofiction par sa quête de la jeunesse perdue. Elle se centre essentiellement sur le Paris de l'Occupation et s'attache à dépeindre la vie d'individus ordinaires confrontés au tragique de l'histoire et agissant de manière aléatoire ou opaque.
Le 9 octobre 2014, son œuvre est couronnée par le prix Nobel de littérature pour « l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation », comme l'expliquent l'Académie suédoise et son secrétaire perpétuel Peter Englund, qualifiant l'auteur de « Marcel Proust de notre temps ». Six ans après J. M. G. Le Clézio, il devient le 15e homme de lettres français à recevoir cette récompense. Son œuvre est traduite en 36 langues.
Biographie
Jean Patrick Modiano naît dans une villa-maternité du Parc des Princes à Boulogne-Billancourt, 11 allée Marguerite ; il est le fils d'Albert Modiano et de Louisa Colpijn, (née en 1918), comédienne flamande arrivée à Paris en juin 1942, connue ultérieurement sous son nom d'actrice de cinéma belge Louisa Colpeyn.
Albert Modiano, orphelin à quatre ans, n'a pas connu son père, un aventurier toscan juif d'Alexandrie, né à Salonique et établi en 1903 avec la nationalité espagnole, comme antiquaire à Paris, 5 rue de Châteaudun, après une première vie à Caracas. Élevé avec son frère, square Pétrelle puis square de la rue d'Hauteville, par une mère anglo-picarde, dans un certain abandon, c'est âgé de trente ans que ce futur père rencontre dans le Paris occupé, en octobre 1942, Luisa Colpeyn, la future mère de l'écrivain, alors traductrice à la Continental.
Τrafiquant de marché noir dans sa jeunesse, vivant dans le milieu des producteurs de cinéma originaires d'Europe centrale, Albert Modiano a été, juste avant la guerre et après quelques échecs dans la finance et le pétrole, gérant d'une boutique de bas et de parfums, sise 71 boulevard Malesherbes. Après sa démobilisation14, il s'est trouvé sous le coup de la loi du 3 octobre 1940 contre les juifs mais ne s'est pas déclaré au commissariat comme il en avait l'obligation. En février 1942, soit six mois avant le décret du 6 juin 1942 portant application de cette loi et organisant les déportations, il est entré dans la clandestinité à la suite d'une rafle et d'une évasion. Introduit dans ces circonstances par un ami banquier italien, ou par la maîtresse d'un de ses dirigeants, au bureau d'achat du SD (le service de renseignements de la SS) qu'il fournira par le marché noir, « Aldo Modiano » a, au moment de sa rencontre avec Louisa Colpeyn, commencé d'accumuler une fortune qui durera jusqu'en 1947. Désormais protégé des arrestations, mais pas des poursuites, il s'installe début 1943 15 quai de Conti avec sa nouvelle compagne, là où vécut l'écrivain Maurice Sachs, qui y laissa sa bibliothèque. Le couple mènera la vie de château et fréquentera la pègre jusqu'à la Libération, qui coïncide avec la naissance de leur fils aîné.
L'enfant est confié à ses grands-parents maternels venus à Paris pour cela, renforçant chez lui le flamand comme langue maternelle. En septembre 1949, sa mère rentre de vacances à Biarritz sans lui, l'y laissant pour deux ans à la nourrice de son frère Rudy, né le 5 octobre 1947. C'est là qu'à cinq ans, il est baptisé, en l'absence de ses parents, et inscrit dans une école catholique Début 1952, sa mère, rejetante qui souhaite assurer ses tournées en province, installe les deux frères à Jouy-en-Josas, où ils deviennent enfants de chœur, chez une amie dont la maison sert à des rendez-vous interlopes. L'arrestation en février 1953 de cette amie pour cambriolage le ramène pour trois ans dans un foyer désuni où les seuls signes d'attention viennent du catéchisme.
L'atmosphère particulière de cette enfance, entre l'absence de son père — au sujet duquel il entend des récits troubles — et les tournées de sa mère, le rend très proche de son frère Rudy. La mort de celui-ci à la suite d'une leucémie à l'âge de dix ans, en février 1957, sonne la fin de l'enfance. L'écrivain gardera une nostalgie marquée de cette période et dédiera ses premiers ouvrages, publiés entre 1967 et 1982, à ce frère disparu en une semaine.
D'octobre 1956 à juin 1960, il est placé en pensionnat, avec d'autres adolescents de parents fortunés, à l'école du Montcel à Jouy-en-Josas, où la discipline et le fonctionnement militaires font de lui un fugueur récidiviste. De septembre 1960 à juin 1962, on l'éloigne un peu plus en le confiant aux pères du collège-lycée Saint-Joseph (Thônes), en Haute-Savoie, prison où il attrape la gale dans un linge rarement changé et éprouve avec ses camarades paysans la solidarité de la faim. De retour en juillet 1961 d'une tournée ruineuse de vingt-deux mois à travers l'Espagne, sa mère trouve son père en ménage avec une blonde Italienne en instance de divorce de vingt ans plus jeune que lui qu'il épousera un an plus tard. Ses parents vivront désormais chacun à un étage de leur duplex commun.
Soutenu depuis l'âge de quinze ans par Raymond Queneau, ami de sa mère rencontré en 1960, qui lui donne des leçons particulières de géométrie, il décroche son baccalauréat à Annecy en juin 1962, avec un an d'avance. Comme son père, il a l'ambition balzacienne de faire fortune mais en devenant écrivain. Toutefois, éthéromane, il abandonne définitivement les études à la rentrée suivante, en novembre 1962, en désertant l'internat du lycée Henri-IV à Paris où il a été inscrit en philosophie. Sa belle-mère refuse de l'héberger chez elle, quai Conti, à quelque dix-huit cents mètres de là.
Il vient habiter, à la place de son père, chez sa mère. Là, neuf mois plus tôt, en février 1962, il a connu ses premiers ébats amoureux. Sa partenaire, amie de sa mère, était de plus de dix ans son aînée. Pour subvenir aux besoins de cette mère qui n'a pas de contrat, il mendie auprès de son père, qui organise leurs rencontres à l'insu de sa nouvelle épouse.
Ce n'est que dans le foyer d'une ancienne relation, baby sitter, et de son mari vétérinaire aux haras de Saint-Lô, qu'il peut goûter, le temps renouvelé de quelques vacances, un semblant de vie familiale. À partir de l'été 1963, toujours pour pallier l'impécuniosité de sa mère, il revend à des libraires des éditions remarquables volées chez des particuliers ou dans des bibliothèques. Trois ou quatre fois, la dédicace d'un grand auteur ajoutée de sa main augmente fortement la plus-value, falsification qui deviendra un jeu.
En septembre 1964, une inscription contre son gré en hypokhâgne au lycée Michel-Montaigne à Bordeaux, en forme de bannissement ourdi par sa belle-mère, se solde par une nouvelle fugue et une rupture avec son père qui durera près de deux ans. Le soir du 8 avril 1965, envoyé par sa mère chercher auprès de celui-ci un secours financier, il est emmené par la maréchaussée abusivement alertée par cette belle-mère. Son père, sans un mot pour lui, le dénonce au commissaire comme un « voyou ».
À la rentrée 1965, il s'inscrit à la Sorbonne en Faculté de Lettres pour prolonger son sursis militaire. Il n'assiste à aucun cours mais fréquente, à Saint-Germain des Prés, des adeptes du psychédélisme et du tourisme hippy à Ibiza. Il retrouve au Flore les précurseurs du mouvement Panique auxquels il soumet son premier manuscrit. C'est donc à un connaisseur qu'en 1966 Le Crapouillot commande pour son « spécial LSD » un article évoquant la génération Michel Polnareff, premier texte publié de Patrick Modiano.
Le samedi, Raymond Queneau le reçoit chez lui à Neuilly pour un dîner hilare que prolonge durant l'après-midi une promenade dans Paris évocatrice de Boris Vian. En juin 1966, son père reprend contact avec lui mais c'est pour le persuader de devancer l'appel, ce qui se termine par un échange épistolaire acerbe. Libéré par sa majorité, Patrick Modiano ne reverra jamais son père.
Il se présente, dans une interview de Jacques Chancel, comme un admirateur des styles de Paul Morand et de Louis-Ferdinand Céline.
Sa rencontre avec l'auteur de Zazie dans le métro est cruciale. Introduit par celui-ci dans le monde littéraire, Patrick Modiano a l'occasion de participer à des cocktails donnés par les éditions Gallimard. Il y publiera son premier roman en 1967, La Place de l'Étoile, après en avoir fait relire le manuscrit à Raymond Queneau. À partir de cette année, il se consacre exclusivement à l'écriture.
Avec Hughes de Courson, camarade d'Henri-IV, il compose un album de chansons, Fonds de tiroirs, pour lesquelles ils espèrent trouver un interprète. Ιntroduit dans le show bizz, Hughes de Courson propose l'année suivante, en 1968, la chanson Étonnez-moi, Benoît…! à Françoise Hardy. Deux ans plus tard, ce sera L'Aspire à cœur chantée par Régine. En mai 68, Patrick Modiano est sur les barricades mais en tant que journaliste pour Vogue.
Le 12 septembre 1970, il épouse Dominique Zehrfuss, la fille de l'architecte du CNIT, Bernard Zehrfuss. Elle raconte une anecdote symptomatique de la querelle esthétique entre héros et subversifs :
« Je garde un souvenir catastrophique de la journée de notre mariage. Il pleuvait. Un vrai cauchemar. Nos témoins étaient Raymond Queneau, qui avait protégé Patrick depuis son adolescence, et André Malraux, un ami de mon père. Ils ont commencé à se disputer à propos de Dubuffet, et nous, on était là comme devant un match de tennis ! Cela dit, ça aurait été amusant d’avoir des photos, mais la seule personne qui avait un appareil a oublié de mettre de la pellicule. Alors il ne nous reste qu’une seule photo, de dos et sous un parapluie75 ! »
De cette union naîtront deux filles, Zina Modiano (1974), future réalisatrice, et Marie Modiano (1978), chanteuse et écrivain.
Dès son troisième roman, Les Boulevards de ceinture, le Grand prix du roman de l'Académie française de l'année 1972 l'inscrit définitivement comme une figure de la littérature française contemporaine.
En 1973, il écrit, avec le réalisateur Louis Malle, le scénario du film Lacombe Lucien, dont le sujet est un jeune homme, désireux de rejoindre le maquis pendant l'Occupation, que le hasard, un rien, une parole de défiance à l'endroit de sa jeunesse peut-être ou une absence de parole, fait basculer dans le camp de la Milice et de ceux qui ont emprisonné son père. Le scénario est publié chez Gallimard qu'il présente à l'émission Italiques. La sortie du film en janvier 1974 déclenche une polémique au sujet de l'absence de justification du parcours du personnage, ressentie comme un déni de l'engagement, voire une remise en cause de l'héroïsme, et provoque l'exil du cinéaste.
Gérard Lebovici lui propose d'écrire pour le cinéma en 1977 en préparant un scénario pour Michel Audiard sur un gangster moderne, Jacques Mesrine. Le film ne se fera pas mais il en restera une amitié durable pour le cinéaste59.
En novembre 1978, il parvient à la consécration avec son sixième roman, Rue des Boutiques obscures, en recevant le prix Goncourt « pour l'ensemble de son œuvre ».
Thèmes
Les romans de Patrick Modiano sont traversés par le thème de l'absence, de « la survie des personnes disparues, l’espoir de retrouver un jour ceux qu'on a perdus dans le passé », avec le goût de l'enfance trop vite effacée13. Son œuvre littéraire est d'abord construite à partir de deux thèmes majeurs : la quête de l'identité (la sienne et celle de son entourage), ainsi que l'impuissance à comprendre les désordres, les mouvements de la société. Ce qui produit un phénomène où le narrateur se trouve presque toujours en observateur, subissant et essayant de trouver un sens aux nombreux événements qui se produisent devant lui, relevant des détails, des indices, qui pourraient éclaircir et constituer une identité. Modiano (ou son narrateur) se montre parfois comme un véritable archéologue de la mémoire, relevant et conservant le moindre document, insignifiant au premier abord, afin de réunir des informations à propos de lui-même, de proches ou bien d'inconnus. Certaines pages sont travaillées de façon à sembler être écrites par un détective ou par un historiographe.
Autre obsession de Patrick Modiano, la période de l'Occupation allemande. Né en 1945, il ne l'a évidemment pas connue, mais il s'y réfère sans cesse à travers le désir de cerner la vie de ses parents durant cette période au point de se l'approprier et d'y plonger certains de ses personnages. L'évidente dualité idéologique de ses parents tend ainsi à faire émerger dans ses œuvres des protagonistes à la situation floue, aux limites et profils mal définis (notamment dans la première trilogie, dite « de l'Occupation », que composent ses trois premiers romans).
Le thème du père et de la paternité est central chez Patrick Modiano. D'abord parce qu'il constitue l'épicentre de tout un réseau de thèmes secondaires variables (l'absence, la trahison, l'hérédité…), mais aussi parce qu'il s'agit d'un élément d'autofiction déterminant l'ensemble de son univers romanesque. Ce thème est ainsi majoritairement présent comme toile de fond des récits de Patrick Modiano, et plus directement dans le récit autobiographique Un pedigree.
Albert Modiano reste une énigme sur divers points, et l'écriture permet à l'auteur de les développer de façon libératrice. De sa jeunesse, on ignore quasiment tout, hormis sa participation à quelques trafics. Durant l'Occupation, il vit dans l'illégalité complète et utilise une fausse identité (Henri Lagroux) qui lui permet de ne pas porter l'étoile jaune. Mais le plus troublant reste un épisode dans lequel, après avoir été pris dans une rafle, Albert Modiano est emmené à Austerlitz pour un convoi. De façon surprenante, il sera rapidement libéré par un ami haut placé. L'identité de cet individu demeure floue. On suppose qu'il s'agit d'un membre de la bande de la rue Lauriston, c'est-à-dire la Gestapo française.
Ayant pour habitude de rencontrer son fils dans des lieux hautement fréquentés, comme les halls de gares et d'hôtels, Albert Modiano est toujours préoccupé par de mystérieuses affaires. Patrick décide à l'âge de dix-sept ans de ne plus le revoir. Il apprendra sa mort (jamais élucidée), sans jamais connaître le lieu de l'inhumation.
Œuvre
- 1968 : La Place de l'Étoile — prix Roger-Nimier et prix Fénéon
- 1969 : La Ronde de nuit
- 1972 : Les Boulevards de ceinture — Grand prix du roman de l'Académie française
- 1975 : Villa Triste — Prix des libraires
- 1977 : Livret de famille
- 1978 : Rue des Boutiques obscures — Prix Goncourt
- 1981 : Une jeunesse
- 1981 : Memory Lane (avec des dessins de Pierre Le-Tan)
- 1982 : De si braves garçons
- 1983 : Poupée blonde (avec des dessins de Pierre Le-Tan)
- 1985 : Quartier perdu
- 1986 : Dimanches d'août
- 1988 : Remise de peine
- 1989 : Vestiaire de l'enfance
- 1990 : Voyage de noces
- 1991 : Fleurs de ruine
- 1992 : Un cirque passe
- 1993 : Chien de printemps
- 1996 : Du plus loin de l'oubli
- 1997 : Dora Bruder
- 1999 : Des inconnues
- 2001 : La Petite Bijou
- 2003 : Accident nocturne
- 2005 : Un pedigree
- 2007 : Dans le café de la jeunesse perdue
- 2010 : L'Horizon
- 2012 : L'Herbe des nuits
- 2014 : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
- 1986 : Une aventure de Choura (illustré par Dominique Zehrfuss)
- 1987 : Une fiancée pour Choura (illustré par Dominique Zehrfuss)
- 1988 : Catherine Certitude (avec le dessinateur Sempé)
- 1974 : La Polka (créée à Paris, au Théâtre du Gymnase, le 15 mai 1974, dans une mise en scène de Jacques Mauclair)78,79
- 1990 : Paris Tendresse (avec des photographies de Brassaï)
- 1996 : Elle s'appelait Françoise (avec Catherine Deneuve)
- 2002 : Éphéméride
Récompenses et distinctions
- 1968 : Prix Roger-Nimier et le Prix Fénéon pour La Place de l'Étoile
- 1972 : Grand prix du roman de l'Académie française pour Les Boulevards de ceinture
- 1976 : Prix des libraires pour Villa Triste
- 1978 : Prix Goncourt pour Rue des Boutiques obscures
- 1984 : Prix littéraire Prince-Pierre-de-Monaco pour l'ensemble de son œuvre
- 1996 : Chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur
- 2000 : Grand prix de littérature Paul-Morand pour l'ensemble de son œuvre
- 2002 : Prix Jean-Monnet de littérature européenne du département de Charente pour La Petite Bijou
- 2010 : Prix mondial Cino Del Duca pour l'ensemble de son œuvre
- 2011 : Prix de la BnF et prix Marguerite-Duras, pour l’ensemble de son œuvre
- 2012 : Prix de l'État autrichien pour la littérature européenne
- 2014 : Prix Nobel de littérature
- 2014 : Officier de l'ordre national de la Légion d'honneur